L'édito européen de Quentin Dickinson

Guerre en Ukraine : l'attitude ambigüe des Etats d'Afrique - La chronique de Quentin Dickinson

Guerre en Ukraine : l'attitude ambigüe des Etats d'Afrique - La chronique de Quentin Dickinson

Cette semaine, Quentin Dickinson, vous vous dites perplexe devant l’attitude des États d’Afrique, confrontés à distance aux retombées négatives pour eux de la guerre en Ukraine, c’est bien cela ? ...

En effet, l’attitude de nombre de capitales africaines est pour le moins ambigüe. Bien sûr, on comprend qu’on s’y inquiète de la rupture d’approvisionnement en blé et autres céréales ; évidemment, on est conscient qu’on s’y réjouisse discrètement du spectacle de bouleversements à grande échelle et en cascade au cœur d’anciennes puissances coloniales ; clairement, il paraît logique que les Africains évitent de prendre parti dans cet affrontement – comme l’avait d’ailleurs démontré leur abstention lors du vote aux Nations-Unies, condamnant l’invasion russe.

Mais alors, que diable le Président en exercice de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall, flanqué du Président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa FAKI, est-il aller faire dans la localité balnéaire russe de SOTCHI sur la Mer Noire, où l’attendait Vladimir Poutine ?

Que pouvaient donc espérer les deux Africains de cette rencontre ?

C’est toute la question. On y voit bien l’intérêt de POUTINE, posant dans le rôle du défenseur d’une Afrique, affamée par les Occidentaux ; mais ses deux interlocuteurs africains sont repartis sans engagement russe quelconque, et, de façon surprenante, les hauts représentants de l’Union africaine ont répété à qui voulait l’entendre qu’il était impératif que les Occidentaux mettent d’urgence fin à leurs sanctions contre la Russie, en particulier pour ce qui est de l’interdiction des exportations de blé et d’engrais russes.

Et, si l’on comprend bien, c’est cela qui vous étonne tellement ?

Oui, et on le serait à moins, car, pour parler simplement, les Occidentaux n’ont jamais bloqué ces exportations-là. Tout au plus a-t-on limité la quantité admissible d’engrais russe, afin d’éviter que Moscou contourne la mesure en faisant transiter les stocks par la Biélorussie. Ce plafond est cependant supérieur au niveau des exportations d’avant la guerre. 

Et de blocage du blé russe, je le répète, il n’en a jamais été question ici à Bruxelles ; on ne voit donc pas de quel péril les Africains comptaient se prémunir.

Vous parlez d’exportations de céréales russes – mais l’Ukraine est également un grand pays producteur, dont les exportations sont rendues impossibles depuis trois mois que dure la guerre ?

Absolument. Mais cette impossibilité n’est pas le fait des Européens, mais bien de la Russie, qui bloque tout mouvement au départ ou à l’arrivée dans les ports ukrainiens de la Mer Noire. Et M. Poutine ne s’est en rien engagé à lever ce blocus maritime. De toute manière, les principaux acheteurs, hors de l’Europe, de céréales ukrainiennes ne sont pas les Africains sub-sahariens, mais ceux de l’Égypte et du Maghreb, du sous-continent indien et de l’Indonésie.

Conclusion ?

Conclusion ? Eh bien, qu’il est affligeant de voir deux dirigeants africains de premier plan se muer en porte-voix irréfléchis (ou simplement mal informés) de la propagande du Kremlin. Un détail : SOTCHI se situe à moins de cinq cents kilomètres de la frontière ukrainienne, et à trente kilomètres seulement de l’Abkhazie, cette région de la Géorgie occupée depuis douze ans par l’armée russe. La proximité de ces tristes exemples a dû échapper aux visiteurs africains.