Aujourd’hui, le point de départ de votre réflexion, c’est la crise politique en France…
La crise, toujours en cours, que provoque en France l’adoption de la loi portant sur l’âge légal de départ à la retraite a fait et fait quotidiennement l’objet d’analyses et de prévisions détaillées, mais dans un contexte exclusivement français.
Ce ne sera pas notre propos aujourd’hui. Car cette crise aura des conséquences qui dépassent les frontières de l’Hexagone, et qui méritent d’être précisées.
Que voulez-vous dire, au juste ?
Dans un an, les citoyens de l’UE seront dans la dernière ligne droite de la campagne des élections européennes. La sérénité de cette campagne sera déjà perturbée par les retombées du scandale du Qatargate, en fait sans doute moins révélateur de la cupidité irréfléchie d’un petit nombre d’élus que de l’incapacité du Parlement européen à détecter et à décourager ce genre de dérives.
Mais la vague de colère qui saisit actuellement la France, son extension à toutes les insatisfactions et à tous les malaises, et son expression par le recours à la violence aveugle, auront sans aucun doute une influence notable sur l’attitude des électeurs français.
Comment cela ?
D’abord, par le choix de participer ou non au scrutin. Vous le savez, l’intérêt pour les élections européennes n’a cessé de décroître depuis qu’elles se tiennent au suffrage universel direct, c’est-à-dire depuis 1979. De 60,7 % cette année-là, on était tombé à 40,6 % trente ans plus tard. Le rebond des dernières élections, celles de 2019, à 50,12 % ne doit pas faire illusion : il est dû en grande partie à l’irruption en nombre d’élus d’extrême-droite, dont le groupe faisait jeu égal cette année-là avec les centristes pro-européens dans le sillage d’Emmanuel MACRON.
L’année prochaine, cette tendance devrait s’affirmer.
Car en effet, au-delà de la participation, il y a le choix de la liste que l’électeur peut faire…
L’exercice de ce choix s’amenuise paradoxalement, alors que le mode de scrutin aux européennes favorise pourtant les petits partis. L’affrontement entre deux tendances de fond devrait gommer tout jeu plus subtil : l’électeur français se déterminera ou bien pour l’Europe au sens large, ou bien pour la défiance, la protestation, et le rejet. Les voix portées sur l’extrême-droite s’ajoutant à celles de l’extrême-gauche, chez les Français, le choix de la colère devrait largement l’emporter sur celui de la raison. Circonstance aggravante : autant le Rassemblement national et la France insoumise sont-ils bien identifiés et disposent tous deux de chefs de file connus de tous, autant les contours du camp pro-européen demeurent-ils flous, alors que la capacité d’inspiration et d’entraînement du Président de la République paraît freinée par le recul de son taux de popularité.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifierait pour le travail quotidien du Parlement européen ?
Assurément, rien de bon. Les vingt-sept pays, membres de l’UE, élisent un nombre d’eurodéputés en proportion de leur population ; et, dépassée seulement par l’Allemagne, la France occupe 79 sièges sur les 705 que compte le Parlement européen. Avec plus de dix pour cent des élus dans l’hémicycle, le poids des Français est incontournable – pour autant qu’ils sachent s’en servir avec discernement. Dans le cas contraire, les intérêts français seront poliment relégués, et le vide sera promptement occupé par les Allemands et les Italiens, les Polonais et les Espagnols.
Mais, tout-de-même, l’extrême-droite et l’extrême-gauche, notamment françaises, ne feront pas la pluie et le beau temps au Parlement européen ?
Pour résumer : le travail, au Parlement européen, consiste à faire adopter toute proposition de texte par vote au sein de l’une des vingt-trois commissions parlementaires, avant d’aller la faire adopter, toujours par vote, au sein de la plénière. Il va de soi qu’au royaume du consensus négocié, aucun texte fantaisiste, outrancier, ou iconoclaste n’a la moindre chance d’être adopté. Mais le pouvoir des extrêmes n’est pas dans la proposition ; il est dans l’image de force projetée à l’extérieur, en particulier à destination des électeurs de leur pays d’origine. Leur objectif, ce sont les législatives et la présidentielle chez eux, pas au niveau européen. C’est dire que leur activité se limite à des provocations verbales en plénière, dont la vidéo ira prestement nourrir les réseaux sociaux.
On peut espérer que, revenus à plus de raison l’année prochaine, les électeurs français comprennent enfin que l’extrême-droite, comme l’extrême-gauche, pratiquent allègrement la tromperie sur la marchandise électorale européenne – mais, je l’avoue, rien n’est moins sûr.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.