Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous vous inquiétez de ces similitudes frappantes entre la fin des années 1930 et l’actualité internationale d’aujourd’hui…
Nous étions en 1938. A des vitesses différentes, selon les pays, l’économie panse ses plaies et redémarre après le Krach boursier de 1929 et la grande crise mondiale consécutive.
Nous sommes en 2025. L’économie mondiale se remet tant bien que mal de la pandémie de COVID-19 et du confinement qu’elle a provoqué.
Retournons en 1938. En Espagne, la guerre civile ravage le pays depuis deux ans et durera un an encore. L’Italie se prépare à l’annexion par la force de l’Albanie l’année suivante. Dans quelques mois, l’Allemagne réservera le même sort à la Pologne, à la Tchécoslovaquie, à l’Autriche. A l’autre bout du monde, le Japon se livre à une guerre sans merci à la Chine. Et, en Mandchourie, la Chine se mesure à l’Union soviétique.
Mais tout cela est bien lointain, quand même…
…lointain, certes, mais en même temps assez confondant de ressemblance. En effet, comme vous le rappelez à juste titre, nous sommes en 2025. Depuis trois ans, la Russie aura annexé vingt pour cent du territoire de l’Ukraine, s’ajoutant à la Crimée, il y a onze ans déjà. L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie se réarment dans l’urgence. Les trois États baltes bâtissent une ligne de défense le long de leurs frontières orientales.
A l’autre bout du monde, la Chine convoite ouvertement Formose ; Israël intervient militairement à Gaza, en Syrie, au Liban, en Iran. L’Iran arme et encourage des milices islamistes au Proche-Orient et au Yémen. Une quarantaine de conflits régionaux ou locaux, latents ou violents, mettent la paix civile en péril en Afrique.
Mais il y a des garde-fous : l’Alliance atlantique, le droit international, les Nations-Unies, non ?...
Comme le droit international, les institutions internationales ne valent que si les États consentent à s’y soumettre, et que la crainte de ceux-ci reste supérieure à l’assurance de leur impunité en cas de violation.
Retour en 1938 : voyez la trajectoire déclinante de la Société des Nations, institution en laquelle tous les espoirs se plaçaient à l’issue de la Première Guerre mondiale, celle qui devait – pensait-on – être la Der’ des ders’. Impuissante à offrir autre chose que des regrets émus à l’Empire abyssinien lors de l’invasion et l’annexion de celui-ci par les armées de l’Italie, la Société des Nations ne peut réagir que par des discours à la tribune de son siège genevois.
Et en 2025, le même sort paraît guetter l’Organisation des Nations-Unies, son successeur. Qu’il suffise de lire la déconfiture, la tristesse, sur le visage de son Secrétaire général pour se convaincre de l’incapacité de l’organisme à arbitrer les différends entre nations, de rappeler aux règlements, et même - un comble – de financer et d’assurer le secours humanitaire minimum indispensable à la survie et à la dignité des populations civiles les plus vulnérables.
Si on vous suit, Quentin Dickinson, vous brossez un tableau bien sombre de ce que nous réserve un avenir proche ?...
Pas nécessairement. D’abord parce que l’absolue imprévisibilité des Américains de l’instant peut être le moment de l’Europe, contrainte de ne plus pouvoir compter sur l’appui politique et militaire de WASHINGTON. Ceux qui estiment qu’il suffira de faire le gros dos pendant encore trois ans et demi, et qu’après la fin de l’ère TRUMP, tout redeviendra comme avant, se trompent tragiquement. Dans l’urgence et la douleur, l’Europe se réinvente sous nos yeux à un rythme que l’on n’avait guère connu qu’à l’occasion de la pandémie de COVID-19. Et, on le voit, cette Europe-là est bien plus vaste que la seule Union européenne.
Face au front de la Russie, de la Biélorussie, et de la Corée du Nord, voilà qui se recrée aujourd’hui, en 2025, l’alliance de la France et du Royaume-Uni, rejoints par la Pologne, pour contrer l’Axe ROME-BERLIN, en 1939.
Cette année-là, s’affrontaient l’alliance des démocraties parlementaires et le bloc des puissances autoritaires ; sous nos yeux, émerge le retour de la mortelle rivalité mondiale entre la démocratie et l’autoritarisme.
Bien sûr, les technologies, les armes, les moyens de communication ont varié considérablement au cours de ces quatre-vingt-sept années, mais, au fond, ce sont là deux conceptions fondamentalement inconciliables de la société, promises à se briser l’une sur l’autre tant que durera la folie des hommes.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Image : Bundesarchiv, Bild 183-2004-0920-500 / Blahn / licence CC-BY-SA 3.0.