L'édito européen de Quentin Dickinson

Visite guidée des méandres de l'empire d'Elon Musk

© Austin Ramsey sur Unsplash Visite guidée des méandres de l'empire d'Elon Musk
© Austin Ramsey sur Unsplash

Cette semaine, Quentin Dickinson, vous nous emmenez faire une visite guidée de l’empire industriel d’Elon MUSK, c’est cela ?

Oui, et bouclez bien votre ceinture, car le rythme est effréné, vous l’allez voir.

Commençons, c’est logique, par les voitures électriques TESLA, l’activité la plus connue de notre homme auprès du grand public. On découvre que, pour damer le pion à la concurrence, cette entreprise n’hésite pas à exagérer l’autonomie avant recharge de ses véhicules ; mieux, elle a tripoté les algorithmes embarqués qui affichent en temps réel la distance encore disponible. Mieux encore : confrontée à l’avalanche de plaintes, TESLA a créé une discrète cellule chargée de noyer le poisson sur le sujet, cellule qui fait savoir aux automobilistes que leur véhicule a été contrôlé à distance et est désormais en parfait état, et que leur rendez-vous en concession est donc annulé. En raison de ces pratiques, TESLA a écopé d’une amende en Corée ; et une enquête fédérale est lancée aux États-Unis.

Des soucis aussi pour ce qui est de la conduite autonome des TESLA ?

Oui, le système Autopilot accumule les collisions, souvent avec des véhicules de secours en intervention et garés sur la chaussée. TESLA plaide systématiquement l’erreur humaine des conducteurs, ce qui, curieusement, accrédite l’idée que la conduite autonome promise ne l’est pas tant que cela.

Et ces voitures, il faut bien les assurer ?

Absolument. Mais voilà : les coûts de réparation des TESLA sont particulièrement élevés, d’où des primes d’assurances qui détournent la clientèle de la marque. M. MUSK a donc lancé aux États-Unis, avec des moyens dérisoires, sa propre compagnie d’assurances, forte (si l’on peut dire) d’une douzaine de gestionnaires pour traiter des milliers de plaintes. Résultat : on attend plus de six mois pour se faire rembourser les réparations, plus longtemps encore si s’y rajoutent des frais médicaux.

Il n’y a pas que des voitures, Elon MUSK construit aussi des fusées…

En effet. Sa société SPACE-X s’est engagée dans un programme de colonisation de la planète Mars, afin – selon M. MUSK – de sauver l’humanité, condamnée à l’extinction par l’épuisement des ressources sur Terre. Mais il faut faire vite, très vite, et au mépris des consignes de sécurité, là où elles existent. Conséquences : depuis huit ans, 600 accidents graves inventoriés, membres écrasés, amputations, électrocutions, traumatismes crâniens, perte d’un œil, et un mort. La règle selon Elon MUSK, c’est que le salarié (et nullement l’entreprise) est responsable de sa propre sécurité au travail.

Et puis il y a TWITTER…

…TWITTER, rebaptisé X dès son rachat par M. MUSK, qui entend en faire un incomparable espace de liberté d’expression. Premières décisions : licencier la moitié du personnel, et changements de formule impopulaires.

Résultat : l’effondrement de la valeur cotée en bourse et des revenus publicitaires. Ensuite, le retrait tardif de la publication d’un commentaire clairement antijuif a entraîné l’annulation des contrats avec X par plusieurs entreprises importantes. On en est là.

Ça y est, on a fait le tour ?

Non, il reste NEURALINK, laboratoire qui tente de mettre au point une puce électronique à greffer dans le cerveau des personnes handicapées moteur, pour qu’elles retrouvent l’usage de leurs membres. Or, le rythme d’enfer imposé aux équipes entraîne de nombreuses erreurs, qui obligent à recommencer les expériences. Et cela aussi a son coût en animaux de laboratoire : NEURALINK a infligé des souffrances inutiles à quantité de rats et de souris, mais aussi à des singes, des porcs, des moutons – en tout, plus de 1.500 animaux sacrifiés depuis cinq ans.

Alors, pour résumer, Quentin Dickinson ?

Pour résumer, c’est l’histoire affligeante d’un monomaniaque messianique obsédé par la vitesse, dont les décisions souvent incompréhensibles sont prises dans l’urgence, dont la gestion est calamiteuse, et dont les activités à très grande échelle ne tiennent qu’au prix d’une perpétuelle fuite en avant et d’une communication quasi-magique centrée sur sa personne.

Il est donc primordial que les dirigeants européens, facilement fascinés par ce qu’on leur présente comme le monde de demain venu d’Outre-Atlantique, sachent garder la tête froide et les pieds sur terre – et évitent d’importer ce modèle.

Pour finir, une devinette : qui a dit et répété à ses collaborateurs pour les inciter à accélérer leur travail : 

« Vous devez vous imaginer à chaque instant que vous avez une bombe attachée à votre tête » ?

Je n’insiste pas, je sens que vous l’avez identifié.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.