L'agroécologie, notre rapport à la nature

Changer le regard sur les "mauvaises herbes"

Photo de Adrian Infernus sur Unsplash Changer le regard sur les "mauvaises herbes"
Photo de Adrian Infernus sur Unsplash

Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes-Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.

Nous allons parler de mauvaises herbes dans cette nouvelle chronique, c’est d’autant plus intéressant que de nombreux débats autour de l’utilisation des herbicides et de leurs effets sur l’environnement sont à l’origine de nombreux débats entre les formes d’agriculture. Tout d’abord, je vous pose la question, pourquoi ce qualificatif de « mauvaises » ?

Nous avons tous et toutes été agacés par ces plantes que nous jugeons indésirables. C’est un jugement de valeur vis à vis de plantes qui poussent là où nous ne le voulons pas et qui rentrent en concurrence avec nos plantes préférées qui leur valent ce qualificatif à forte connotation négative.

En réalité, ces plantes, que je qualifierai d’adventices pour éviter le terme vernaculaire, sont plus qu'une simple nuisance ; elles peuvent avoir de graves répercussions économiques car elles sont à l’origine de fortes baisses de rendement, mais elles peuvent également réduire la qualité monétaire de la production.

Ces plantes partagent toutes à des degrés divers selon les espèces des capacités uniques d’aptitude à prélever des ressources et donc sont en compétition avec les plantes d’intérêt mais elles ont également des capacités à produire de grandes quantité de graines, pouvant séjourner longtemps dans le sol et regermer une fois les conditions revenues favorables.

Par exemple, le datura, une espèce originaire du Mexique et qu’on peut retrouver sur certaines cultures comme le maïs, contient des molécules appelées alcaloides tropaniques qui peuvent occasionner des symptômes potentiellement mortels chez l’espèce humaine. Une fois adulte cette plante peut mesurer jusqu’à plusieurs mètres de hauteur, et les fruits appelés capsules peuvent contenir jusqu'à 500 graines par capsule. Les graines peuvent survivre jusqu’à 80 ans dans les sols. Il est donc très important d’éviter l’installation de ce type de plantes. Ce sont des opérations préventives, et parfois si l’infestation est manifeste, le recours aux herbicides est pratiqué.

On comprend les enjeux autour des adventices, mais avec la reconnaissance des effets délétères des herbicides sur l’environnement, n’y a t’il pas d’autres moyens de lutter contre ces plantes ?

Les herbicides ont été et restent encore la voie privilégiée de lutte contre les adventices. Je vous propose de prendre l’exemple du glyphosate mis sur le marché à partir des années 1970. C’est un herbicide non sélectif qui permet de détruire environ 150 adventices. Ce large spectre et aussi son efficacité l’a rendu très populaire.

Aujourd’hui, le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde et son récent renouvellement par l’Union Européenne a suscité de forts débats politiques et sociétaux alors que les preuves scientifiques sur ses effets tant sur la santé humaine et des écosystèmes est démontré depuis longtemps.

Certains herbicides comme le glyphosate font partie intégrante du système de culture. Je veux dire par là, que la conception et la gestion des peuplements végétaux se fait autour de cette molécule. Par conséquent, ne plus utiliser cette molécule revient à transformer le système.

Est-il donc juste de dire qu’il n’y a pas d’alternatives ?

C’est une délicate question, car il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte comme on l’a vu en termes d’écologie des adventices mais également du système de culture.

Je vous proposerai bientôt une autre chronique pour en débattre, mais pour répondre à votre question, oui il existe des alternatives qui reposent à la fois sur des échelles paysagères et parcellaires.

Ces alternatives reposent sur d’abord sur l’augmentation de la biodiversité cultivée pour favoriser les processus écologiques mais elles seront à adapter en fonction du changement climatique.

Ensuite, les pratiques agricoles comme le désherbage assisté par intelligence artificielle peuvent être utilisées mais si ces technologies sont intéressantes, elles restent délicates à mener sur de grands espaces, et donc la gestion par désherbage mécanique peut rester intéressante même si elles impliquent une utilisation d’énergie fossile donc par définition non durable. L’ensemble de ces techniques doit également préserver la vie du sol qui contribue à plusieurs services écosystémiques, mais également au contrôle de la dormance et la compétition entre les plantes d’intérêt et les adventices.

Par quoi commencer  alors ?

Je dirai qu’il faudrait commencer par le plus difficile, celui de considérer ces plantes avec un regard différent et peut être un peu moins anthropocentré. Ces adventices peuvent également être considérées comme des auxiliaires face à des ravageurs qui peuvent les consommer au lieu des plantes cultivées, d’intérêt. Elles peuvent contribuer à la fertilité des sols et soutenir les cycles du carbone, de l’azote et du phosphore, voire favoriser des pollinisateurs. Si notre regard est déporté, quelque part, c’est la perspective de ré-interroger notre rapport à ces plantes et peut être leur faire une place, afin de chercher à tout prix à les éradiquer au risques sans doute trop importants sur le long terme.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

Sources :

Benech-Arnold RL, Sánchez RA, Forcella F, Kruk BC, Ghersa CM (2000) Environmental control of dormancy in weed seed banks in soil. Field Crops Research 67 (2):105-122.

Boinot S, Alignier A, Storkey J (2024) Landscape perspectives for agroecological weed management. A review. Agron Sustain Dev 44 (1):7. doi:10.1007/s13593-023-00941-5

Gaba S, Fried G, Kazakou E, Chauvel B, Navas ML (2014) Agroecological weed control using a functional approach: a review of cropping systems diversity. Agron Sustain Dev 34 (1):103-119. doi:10.1007/s13593-013-0166-5

Schumacher M, Klimeck V, Gerhards R (2026) Climate change effects on the weed suppressive ability of several cover crop mixtures. Crop Protection 202:107514. doi:https://doi.org/10.1016/j.cropro.2025.107514