Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.
Aujourd’hui Edith Le Cadre, vous nous invitez à examiner l’importance de l’approche système
Il existe de multiples interactions de l'agriculture avec les ressources naturelles (y compris le sol, l'eau et le sol), l’alimentation - de la production à la consommation - et les systèmes sociaux et écologiques dans lesquels l’agriculture opère. Quand je parle d’interactions, il serait plus juste de parler d’interdépendances entre des systèmes emboîtés, un peu comme un rubicube.
Par conséquent, parler d’agriculture ou émettre un avis sans une perspective plus large sur celle-ci est risqué
Dans cette nouvelle chronique, je vais tenter de démontrer cette complexité.
Vous avez à plusieurs reprises mentionné la diversité des fermes, et l’hétérogénéité des pratiques et systèmes agroécologiques, je suppose donc que nous allons enrichir cette idée ?
Oui, mais vous faites bien de le rappeler Laurence, car cette diversité et cette hétérogénéité impose une connaissance approfondie des contextes locaux pour identifier les options faisables et pertinentes qui améliore la performance et la durabilité des systèmes agricoles
Nous avons également évoqué la temporalité, notamment en lien avec le changement climatique et l’évolution des rapports à la nature des sociétés.
La durabilité du système dépend des dynamiques et des interactions. Par exemple la résilience d’une ferme au changement climatique dépend de la phénologie des plantes et de la distribution des pluies. L’état initial mais également le passé vécue par le système sont également très importants car ils définissent une dépendance au sentier, c’est à dire des formes de résistance au changement. Ici, je peux l’illustrer par l’état du sol et la trésorerie d’une ferme
C’est déjà assez complexe, y a t’il autre chose à considérer ?
Oui. La non linéarité de certaines interactions qui peuvent générer des effets positifs ou négatifs qui vont réguler le comportements et les performances du système. Dans ce cas, je peux illustrer par la fertilisation azotée qui est un compromis DELICAT à trouver entre rendements et pertes vers l’environnement, par ce que les systèmes sont dits ouverts, car ils échangent de la matière et de l’énergie avec d’autres systèmes comme l’atmosphère ou l’hydrosphère.
J’arrive donc à la notion de propriétés émergentes définit comme le résultat d'un comportement non centralisé. Il faut imaginer un résultat obtenu qu’il n’est pas possible de déduire de somme des décisions individuelles (par exemple, différents types d'agriculteurs dans un paysage) ou des propriétés des composants (par exemple, les gaz à effet de serre d’un système mixte).
Nous comprenons donc bien la complexité des systèmes, mais comment est-elle abordée par les agronomes ?
Principalement par des approches participatives que je pourrais résumer par l’acronyme anglais DEED qui peut être traduit par Décrire – Comprendre – Expliquer – Concevoir. La science des systèmes est considérée comme capable d'analyser la complexité des systèmes agroalimentaires et d'aborder les problèmes complexes qui s'y posent. Lorsque des problèmes sont causés par plusieurs facteurs interdépendants qui les rendent apparemment impossibles à résoudre, la résolution impose une analyse profonde du système. Par ailleurs, les diverses parties prenantes ne sont généralement pas d'accord sur la nature et les causes du problème, il est difficile donc trouver des solutions. Ces parties prenantes doivent pourtant travailler ensemble, au-delà de leurs divergences idéologiques, pour trouver des solutions efficaces. La science des systèmes englobe l'utilisation de concepts, d'approches, de méthodes et d'outils systémiques qui ne sont pas seulement utiles à la recherche (c'est-à-dire à l'évaluation des risques) mais aussi pour l'innovation, la politique, l'éducation et l'interaction avec la société dans son ensemble. Par exemple, dans la plupart des projets de développement durable, il est nécessaire de s'engager avec la société et de combiner la recherche à l'innovation, aux changements politiques et au renforcement des capacités. Alors que ces activités ne peuvent être menées sans une base scientifique solide alimentée par la recherche, elles soulèvent en retour de nouvelles questions pour la recherche sur les systèmes et amplifient l'impact de la recherche sur la société.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron
Référence :
Ce texte est inspirée de la note rédigée par : Katrien Descheemaker, Santiago Lopez-Ridaura, Matthew Brandon, Oscar Ortiz, Jacques Wery (International Expert Workshop on System Science for Resilient Agri-Food Systems), Montpellier 21-23 May 2024