Edith Le Cadre est directrice de recherche à l'institut agro. Une semaine sur deux sur euradio, elle décryptera les différents sens l'agroécologie et se demandera si cette dernière peut être une solution aux enjeux de notre époque.
Vous allez nous parler d’agroécologie. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ces deux termes agronomie et agro-écologie.
Bien sûr ! En France nous avons les deux termes alors que dans d’autres pays non, seul le terme d’agroécologie demeure.
Pour comprendre cette particularité bien française, il faut remonter assez loin, au 18ème siècle qui correspond à la création des premières écoles d’ingénieur·es en France. A l’époque, l’État souhaite former des cadres scientifiques pour ses besoins militaires et civils, et donc agricoles pour nourrir la population.
Entre les premiers agronomes comme Olivier de Serres, la création de l’INRAE et maintenant, la définition de l’agronomie a beaucoup évolué.
Est elle stabilisée ?
Oui, c’est celle d’un autre agronome, Michel Sebillote, qui fait désormais consensus.
L’agronomie est l’étude des relations entre les plantes cultivées et le milieu en vue d’en obtenir une production. Cette discipline repose sur les découvertes de la biologie, de la physique et de la chimie…
La discipline agronomie n’existe pas à l’étranger ?
Pas tout à fait dans le sens de la définition que je viens de donner. Car l’agronome utilise une approche holistique qui lui permet de comprendre le fonctionnement d’une parcelle cultivée mais également les mécanismes de prises de décisions socio-économiques qui influencent par les pratiques le fonctionnement
Mais je retiens de la définition un seul objectif : produire !
Oui effectivement car c’était l’objectif d’une époque : assurer la sécurité alimentaire d’une population et donc produire toujours plus. Le développement de l’agronomie à la sortie de la seconde guerre mondiale a permis un bond spectaculaire des rendements, et d’assurer la souveraineté agricole des pays.
Cette période de l’histoire a d’ailleurs été appelée « la révolution verte ».
Mais ces systèmes dont vous parlez ont conduit à des dégradations environnementales.
Oui, ces pratiques étaient basées sur une logique de court terme et de rentabilité, et de forte consommation.
Les rendements étaient possibles par l’utilisation des intrants de synthèse qui se substituaient aux régulations naturelles ou aux facteurs limitants naturels. Avec la spécialisation des productions agricoles dans les territoires, les conséquences ont très fortes et se peuvent subsister encore aujourd’hui.
À quelle époque est apparu le terme agroécologie ?
Difficile de donner une date précisément, mais disons que ce terme est apparu aux alentours des années 70 – début 80 en parallèle des mouvements de défense de l’environnement et l’essor de la recherche.
Il est devenu évident que les systèmes agricoles ne devaient plus considérer l’environnement comme des externalités, certains sont allés plus loin en intégrant d’autres aspects non monétaires comme le rapport à la nature, la préservation de la biodiversité et la réduction des inégalités.
C’est donc une vision très différente de la production agricole et de son intégration plus globale dans les systèmes alimentaires qui a progressivement émergé.
Comme je l’ai expliqué au début de la chronique, les concepts et méthodes des agronomes français intégraient déjà une approche systémique, ce qui peut expliquer que le terme agroécologie n’ait pas supplanté le terme agronomie en France.
Ceci dit pour être tout à fait rigoureuse, l’écologie comme discipline scientifique a été tardivement intégrée par les agronomes français. Mais désormais ce n’est plus le cas. L’agronomie et l’agroécologie en France peuvent être considérées comme équivalentes en terme de discipline scientifique, et comme toute discipline elle évolue encore. Et d’ailleurs on n’enseigne plus l’agronomie aujourd’hui comme il y a 10 ans !
Si j’ai bien suivi, il y a différents sens au mot agroécologie ?
Exactement.L’agroécologie est une science, un mouvement et une manière de produire. Il faut donc être vigilant car on parle d’agroécologie pour savoir de quoi on parle exactement.
Je vais vous donner un exemple : En Amérique centrale, le terme agroécologie est né pour comprendre et valoriser les savoirs locaux des paysans afin de produire autant voire plus sans ajouts d’intrants de synthèse que les populations locales ne pouvaient de toute façon pas acheter.
Pour cela, il a fallu redécouvrir le rôle de la biodiversité cultivée et non cultivée dans le fonctionnement des écosystèmes et ensuite comprendre et évaluer les pratiques permettant des interactions positives entre les espèces et le milieu qui soient socialement acceptables par les agriculteurs.
Dans ce cas précis, l’agroécologie renvoie donc à la fois aux pratiques mais également à la production de nouvelles connaissances par une approche interdisciplinaire, des méthodes participatives.
Je comprends que l’agroécologie est le maintien de la biodiversité, mais je n’ai pas l’impression de voir des systèmes agroécologiques quand je me promène dans les campagnes.
Il ne faut pas se fier forcément à tout ce que vous voyez, car la diversité s’exprime à différentes échelles spatiales, temporelles ou niveaux d’organisation du vivant
Ce ne serait pas le sujet de la prochaine chronique ?
A votre service et celui des auditeurs, rendez-vous à la prochaine chronique pour parler de biodiversité planifiée et associée !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.