« Quoi de neuf en Europe ? », c’est le nom de la chronique
hebdomadaire réalisée par l’association Perspective Europe, regroupant
les étudiants du Master Affaires Européennes de Sciences Po Bordeaux.
Leur mission ? Décoder pour vous l’actualité de l’Union européenne de la
semaine passée. Et nous en parlons tout de suite avec Clara Chapel.
Alors, dites-moi Clara : quoi de neuf en Europe cette semaine ?
Aujourd’hui nous allons voir du côté de la Géorgie, pays d’Europe de l’Est, situé entre la Russie et la Turquie affichant une population de 3 millions 720 000 habitants.
Rentrons dans le vif du sujet, ce samedi 26 octobre s’y sont tenues des élections législatives cruciales pour l’avenir du pays à la fois d’un point de vue national mais aussi géopolitique.
En effet, s’y sont opposés le parti conservateur pro-russe déjà au pouvoir : le Rêve géorgien, dirigé par l’oligarque milliardaire Bidzina Ivanichvili et une coalition d’opposition pro-européenne.
Quel a été le résultat de ces élections ?
Avec un taux de participation de 58%, les résultats de la commission électorale ont permis dimanche au parti du Rêve géorgien de fêter sa victoire après avoir réuni 54 % des suffrages exprimés contre 37 % pour son opposant pro-européen. Cela lui permet aujourd’hui de bénéficier d’une solide majorité au sein du nouveau parlement.
Quelle a été la réaction de l’opposition face à ces résultats ?
Pour l’instant la coalition pro-européenne refuse de reconnaître les résultats affichés et parle même d’élections volées. Ses membres remettent déjà en question la fiabilité des machines électroniques utilisées pour le vote. De plus, l’opposante Tina Bokuchava, cheffe du Mouvement National Uni dénonce des bourrages d’urne, une brutalisation des électeurs et des obstacles au travail des observateurs.
Quels sont les enjeux de ces résultats pour l’avenir des relations de la Géorgie avec l’Europe ?
Le parti arrivé en tête, soutenu par la Hongrie de Viktor Orban, a pour ambition de rapprocher le pays de l’orbite russe ce qui remet profondément en cause son adhésion à l’Union européenne. Pour rappel, après une demande en mars 2022, le pays s’était vu accorder le statut de pays candidat en décembre 2023, pour autant que les mesures énoncées dans la recommandation de la Commission soient prises. Avec cette récente élection, le pays ne semble pas aller dans cette direction.
Déjà l’adoption en juin dernier de la loi sur l’influence étrangère visant à réduire au silence les médias indépendants et la société civile avait provoqué les gels du processus d’adhésion et de l’aide de 30 millions d’euros de la part de l’Union européenne. Cette loi est en effet considérée par Bruxelles comme un obstacle à l’intégration.
La majorité que possède le Rêve géorgien lui permet-il de prendre toutes les mesures qu’il souhaite ?
Heureusement pour le parti d’opposition, la Rêve géorgien n’a pas obtenu le nombre de sièges suffisants pour envisager un changement de Constitution. Il ne pourra ainsi pas tenir sa promesse d’interdire les partis d’opposition pro-européens ou de retirer de la loi fondamentale l’article de 2018 affirmant la vocation européenne et atlantiste de la Géorgie.
Comment expliquer la victoire de ce parti pro-russe et conservateur ?
Effectivement, cette victoire questionne au vu du décalage entre une fervente opposition à l’Europe occidentale du parti et une population qui se revendique pro-européenne à 80%. Au-delà des accusations de fraude électorale, d’autres raisons expliquent ces résultats.
Tout d’abord, les moyens financiers bien plus importants du Rêve géorgien ont permis au parti de quadriller le pays avec des meetings, affiches ou vidéos. Le parti conservateur a entretenu au cours des derniers mois une campagne de diabolisation du parti pro-européen. Celui-ci est présenté comme le parti de la guerre à la botte d’agents étrangers occidentaux dont l’accession au pouvoir ferait subir au pays le même sort que l’Ukraine. Le Rêve géorgien se présente au contraire comme parti de la paix, cultivant au sein de la société une peur de s’opposer au géant russe.
De plus, le parti au pouvoir a su mobiliser la base à travers un fort ancrage dans les provinces. Ses candidats sont pour la plupart des barons locaux, des hommes d’affaires qui connaissent les familles, pouvant ainsi se servir de leur influence de proximité.
Enfin, le parti a choisi de cibler les salariés du secteur public, une ressource électorale clé. Nombre d’entre eux ont pu recevoir des pressions, notamment via des sms de la part de leur hiérarchie les menaçant de leur faire perdre leur emploi s’ils ne votaient pas pour le parti au pouvoir.
Ce phénomène d’opposition entre partis pro-européens et pro-russes est-il présent ailleurs en Europe de l’Est ?
Et bien justement, en ce moment d’autres pays traversent le même dilemme dans cette région comme la Bulgarie et la Moldavie. Dans le cas de la Moldavie, le pays va voir s’affronter pour le second tour de l’élection présidentielle le 3 novembre la présidente pro-européenne sortante Maia Sandu, arrivée en tête du premier tour avec 42% des voix et Alexandr Stoianoglo, soutenu par les socialistes pro-russes. On peut donc dire que l’avenir européen à l’Est va se jouer au cours des prochaines semaines.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.