Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Maria Vittoria Prisco est étudiante en science politiques et gouvernance européenne.
Alors que l'exploitation d'Internet a connu une croissance exponentielle, le nombre de gouvernements cherchant à l’exploiter à des fins politiques a également augmenté, tant à l'intérieur de leurs frontières nationales que contre d'éventuels adversaires étrangers.
Tout à fait, et les stratégies et politiques mises en avant par la Fédération de Russie sont un exemple. Les plateformes de réseaux sociaux et les organes de communication contrôlés par l'État sont en effet utilisés pour mener des campagnes de désinformation visant à saper les fondements des sociétés démocratiques occidentales.
Comment cette menace s’est-elle développée ?
Le référendum sur le Brexit et les élections présidentielles américaines de 2016 ont vu l'émergence de nouveaux mouvements extrémistes surfant sur le mécontentement des citoyens à des fins de désinformations.
Avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le Président russe Vladimir Poutine a intensifié ses efforts pour manipuler les récits en ligne, finançant - dans le cadre de sa doctrine militaire - une "machine de désinformation de masse" visant à déformer la réalité des événements en Ukraine et à réécrire l'histoire pour correspondre aux narratifs impérialistes du Kremlin.
Et quels risques concrets pour les cibles de ces attaques ?
Ce "tsunami de désinformation" érode la confiance envers les institutions nationales et européennes, causant de nouveaux risques pour la sécurité publique et les droits fondamentaux, et portant atteinte à la liberté d'expression tout en entravant la capacité des citoyens à prendre des décisions autonomes et éclairées.
Aborder cette menace est devenu encore plus difficile pour les autorités nationales en raison du caractère relativement anonyme des interactions sur les réseaux sociaux et du niveau de sophistication des systèmes mis en place.
Mais face à de telles menaces de désinformation, les institutions européennes soutiennent les efforts des États membres…
Tout à fait, à la suite d’un appel de la Commission européenne, les principales entreprises technologiques ont volontairement signé un Code de Conduite Auto Réglementaire sur la désinformation, afin d'accroître la transparence, la responsabilité et la fiabilité des communications politiques sur leurs plateformes.
En 2015, le Service Européen d’Action Extérieure a également créé la East Stratcom Task Force, une équipe dédiée à sensibiliser aux opérations de désinformation du Kremlin et à aider les citoyens européens et au-delà à développer une résistance à la manipulation médiatique.
Depuis février 2022, son projet EUvsDisinfo, le projet phare de East Stratcom, a suivi plus de 237 cas de désinformation concernant l'Ukraine.
Enfin, le EU Rapid Alert System est devenu un point de référence pour la lutte contre la propagande en favorisant des échanges d'informations quotidiens et une coordination plus étroite entre les institutions de l'UE et les autorités nationales.
Malgré cela, il reste impératif pour l'UE d'adopter une approche multifacette…
Effectivement. Plusieurs axes de travail se dessinent.
Tout d'abord, l'UE doit donner la priorité au renforcement des programmes d'éducation aux médias : donner aux citoyens les moyens d'évaluer de manière critique les sources et de discerner le vrai du faux est désormais primordial.
L’UE doit également renforcer son cadre réglementaire, en imposant des réglementations plus strictes aux plateformes et réseaux sociaux pour assurer la transparence et la responsabilité dans la diffusion de l'information, tout en investissant dans la recherche et la technologie pour surveiller et analyser les tendances en matière de désinformation.
Elle doit soutenir les médias indépendants et les journalistes d'investigation pour garantir la disponibilité de sources d'information crédibles et constituant une alternative à la désinformation.
L'UE doit également échanger avec la société civile aux fins d’adapter efficacement les contre-récits et répondre aux préoccupations spécifiques des différents publics.
Enfin, elle doit donner la priorité au renforcement de la capacité institutionnelle en renforçant la coordination et la coopération entre les institutions de l'UE, les États membres et les autres acteurs pertinents.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.