Olivier Levy est un étudiant belgo-britannique au Collège d’Europe de Bruges, en master d’Études politiques et gouvernance européennes. Il est diplômé de première classe en Histoire de l’Université de Bristol, où il s’intéressait à la dissémination de l’histoire dans la littérature, en particulier des romans de l’écrivain John le Carré. Il est président de la History Society et du Wellbeing Network, et a récemment été publié par Le Grand Continent.
Vous êtes venu nous parler aujourd’hui d’un anniversaire, celui de l’accession du Royaume-Uni à l’UE, il y a 50 ans.
Il y a 50 ans, le Royaume-Uni rejoignait l’Union européenne, ou, pour être précis, la “Communauté Économique Européenne” mieux connue sous l’acronyme CEE. Le 1 janvier 1973, la CEE connaît en effet son premier élargissement. Ses six membres fondateurs, l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, l’Italie et les Pays-Bas acceptent d’être rejoints par trois nouveaux membres, le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni.
Aujourd’hui, on ne retient évidemment de la participation du Royaume-Uni au projet européen que sa sortie spectaculaire dudit projet à l’issue du référendum Brexit du 23 juin 2016. Mais laissons le Brexit sur le côté, et pour un moment concentrons-nous sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Union : sur leur spécificité d’abord, mais aussi sur leur capacité à mettre en lumière les atouts de la construction européenne et son influence sur ses voisins.
En quoi les relations anglo-européennes sont-elles uniques ?
Pendant un peu moins de 45 ans, entre son adhésion à la CEE en 1973 et le référendum de sortie de L’UE de 2016, le Royaume-Uni s’est souvent contenté d’une participation à l’Union que l’on pourrait qualifier de périphérique. Il refuse d’adhérer à l’espace Schengen, d’adopter l’Euro en 1999 et, de manière générale, s’oppose systématiquement à toute avancée de l’Union vers une fédération européenne. Les appels du pied répétés de Jacques Delors qui fut Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, n’y changent rien. C’est d’ailleurs ici, à Bruges, en 1988, que la Première ministre britannique Margaret Thatcher exprime clairement le refus de son pays à adhérer à tout projet de création d’une identité européenne, proclamant sa vision de l’Europe ; une famille de nations et non une fédération gouvernée par des fonctionnaires établis à Bruxelles.
Durant ces presque 45 ans, le Royaume-Uni s’est aussi fortement investi dans le projet européen ?
Dans un premier temps, il s’est obstinément battu pour l’établissement et le développement du marché unique tel que nous le connaissons aujourd’hui, et ce, alors que la France et l’Allemagne souhaitaient y mettre des freins pour préserver leurs intérêts nationaux. Dans un second temps, les parlementaires britanniques européens, forts de l’ascendant historique et légal de la souveraineté parlementaire au Royaume-Uni, se sont mobilisés pour asseoir et promouvoir l’influence de la seule institution démocratique de l’Union. Plus récemment, le Royaume-Uni s’est aussi avéré un ardent promoteur de la politique étrangère commune. En témoignent, les accords d’échanges conclus entre l’Union européenne et des pays tiers qui mettent en œuvre les idées néolibérales britanniques.
Le Royaume-Uni a bien évidemment bénéficié de sa participation à l’Union européenne. Son économie, surtout, s’est considérablement développée, grâce à la libre circulation des marchandises, à la libre circulation des services, surtout financiers, mais aussi la libre circulation des personnes qui, en dépit des revendications des ‘Brexiters’, a démultiplié la force de travail et de production du pays.
Comment envisager les futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE ?
Depuis le Brexit, les relations anglo-européennes peinent à dépasser les différends qui subsistent encore sur certains aspects commerciaux et légaux de l’Accord de commerce et de coopération qui scelle le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ce dernier est finalement entré en vigueur le 1er mai 2021, après plus de quatre ans de négociations difficiles. Compte tenu des liens historiques entre les parties, il va au-delà des accords d’échanges traditionnels. Il est toutefois loin d’être parfait et prévoit déjà sa propre révision en 2025. Étant donné l’agenda politique britannique, la renégociation de l’accord post-Brexit sera vraisemblablement au centre des débats lors des prochaines élections nationales en 2024. Le Parti Conservateur au pouvoir ne manquera pas de suggérer que ses challengers travaillistes et libéraux-démocrates entendent revenir dans le giron de l’UE, lui re-déléguer certaines compétences et lui faire de nouvelles concessions en échange d’un accord commercial plus favorable.
Dans le contexte actuel, il est aussi possible que les relations avec l’Union européenne reviennent dominer les débats politiques britanniques bien avant les élections de 2024. La crise économique qui s’annonce particulièrement sévère au Royaume-Uni semble en effet changer la donne en faveur d’un rapprochement avec l’UE. Et certains plaident déjà pour la conclusion d’un accord de libre-échange qui permettrait au Royaume-Uni de réintégrer le marché commun. L’Union a toujours été claire à ce propos, l’accès à la libre circulation des biens et des services est indissociable d’un paquet de conditions légales, économiques et sociales imposées à tous ses participants. Le pouvoir normatif de l’UE a donc vocation à s’étendre au-delà de ses frontières géographiques, à tous ceux qui désirent bénéficier des avantages du marché commun, y compris le Royaume-Uni.
Quels sont les enjeux côté britannique ?
Le dilemme du Royaume-Uni est le suivant : dans quelle mesure le pays est-il prêt à accepter les règles de conduite économiques et sociales édictées par Bruxelles pour pouvoir réintégrer le marché commun ? Le marché britannique peut-il rester compétitif dans le cadre de l’accord existant ou d’un accord d’échanges aménagés ? La fuite des services boursiers de Londres vers Paris, Francfort et Amsterdam est-elle suffisamment dommageable pour l’économie du pays pour ébranler les convictions des euro-sceptiques ? Probablement pas. L’influence exercée par les ténors du Brexit est bien trop importante encore pour oser envisager un rapprochement avec l’Union et un retour des lois européennes dans le codex britannique.
Depuis le Brexit et les négociations, le contexte, qu'il soit politique ou géopolitique par exemple, n'est évidemment plus le même. Quelles perspectives pouvons-nous d'ores et déjà entrevoir ?
L’accession récente du conservateur Rishi Sunak au poste de Premier ministre semble déjà apaiser les relations pour le moins toxiques que le Royaume entretient avec l’UE depuis le référendum. Ce dernier, quoique promoteur du Brexit, semble privilégier une approche pragmatique des interactions de son pays avec l’UE. Ce dernier aspect pourrait s’avérer déterminant s’il devait, comme promis, provoquer une renégociation du Protocole sur l’Irlande du Nord. Qui plus est, depuis le début de la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni et l’UE partagent à nouveau une vision commune en matière de politique étrangère, d’aide humanitaire et de défense. Leur capacité à agir ensemble en soutien à l’Ukraine leur offre un modèle de coopération qui pourrait inspirer celui dont ils ont aujourd’hui grand besoin pour dépasser le Brexit.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.