Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Alice Collin est une étudiante en sciences politiques et en droit, spécialisée dans les affaires européennes. Actuellement inscrite au département d'Études Politiques et de Gouvernance Européennes au Collège d'Europe, elle a également réalisé un stage au Parlement fédéral belge. Passionnée par les enjeux européens, elle se prépare à intégrer le barreau en droit public à Bruxelles l'année prochaine.
La situation est très tendue depuis plusieurs semaines en Géorgie, ce petit pays situé à la frontière sud de la Russie. Dans la capitale, Tbilissi, des manifestations se succèdent sans interruption. La cause : une loi sur l'influence étrangère adoptée par le parlement géorgien, qui change l'orientation de la politique étrangère du pays et qui rappelle celle de la transition autoritaire de 2012 en Russie. Concrètement, en quoi consiste la loi sur l'influence étrangère ?
La loi sur l'influence étrangère en Géorgie, qui a été adoptée le 28 mai dernier, oblige toutes les ONG et tous les médias qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l'étranger à s'enregistrer en tant qu’« organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère » et à se soumettre à un contrôle administratif. Cette loi a été adoptée malgré le veto de la présidente pro-occidentale Salomé Zourabichvili et malgré une forte opposition à l'intérieur du pays et au niveau international.
La loi a été votée dans un contexte de tensions politiques croissantes en Géorgie. Le pays est à un carrefour entre des aspirations européennes et des influences russes. Les partisans de la loi affirment qu’elle est nécessaire pour contrer une prétendue influence étrangère néfaste, en particulier venant de l'Occident, qui pourrait déstabiliser la Géorgie. Ils soutiennent que des organisations étrangères financent des mouvements et des médias pour manipuler l'opinion publique et les élections à venir. Cette perception d'une menace étrangère a été amplifiée par des discours nationalistes et une montée des sentiments anti-occidentaux parmi une partie de la population et des dirigeants politiques.
Pourquoi cette loi est-elle si controversée ?
Cette loi est controversée pour plusieurs raisons. D'abord, elle rappelle une loi similaire qui a été adoptée en Russie en 2012 et qui a été utilisée pour réprimer les voix dissidentes. C'est précisément pour cette raison que cette loi est également surnommée « la loi russe ». En Géorgie, les opposants craignent que cette loi ne soit utilisée de la même manière pour faire taire les critiques, en particulier à l'approche des élections législatives prévues en octobre. Cette loi pourrait aussi entraver le travail des ONG et des médias, dont le rôle est essentiel pour la société civile et la démocratie.
Elle peut également porter atteinte aux ambitions européennes du pays, qui se rapprocherait ainsi de Moscou plutôt que de Bruxelles. Enfin, elle peut avoir des conséquences économiques, notamment des sanctions potentielles de la part de l'Union européenne et des États-Unis, et une réduction de l'aide et de l'investissement étrangers.
Quels sont les liens entre la Géorgie et la Russie dans ce contexte ?
La Géorgie et la Russie entretiennent des relations complexes et souvent tendues. Après la guerre russo-géorgienne de 2008, les relations diplomatiques ont été rompues et la Russie occupe encore aujourd'hui les régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Cependant, la Russie continue d'exercer une influence significative en Géorgie, que ce soit par le biais de médias pro-russes, de liens économiques ou de campagnes de désinformation.
Depuis 2012, le pouvoir en Géorgie est d’ailleurs largement dominé par une oligarchie représentée par Bidzina Ivanichvili, un Géorgien qui a fait fortune en Russie après l'effondrement de l'Union soviétique. Ivanichvili a une forte emprise sur le parlement, le gouvernement et la cour constitutionnelle, ce qui lui permet aussi de peser sur les décisions prises à tous les niveaux. Même si plus de 80 % des Géorgiens sont favorables à l'adhésion à l'Union européenne, le Parlement est principalement contrôlé par le parti Rêve géorgien. Ce parti a pendant longtemps été pro-européen, mais s’est progressivement éloigné des réformes démocratiques nécessaires.
L'adoption de cette loi pourrait donc être vue comme un moyen pour le gouvernement géorgien de naviguer dans ce contexte difficile, en essayant de limiter les influences occidentales tout en apaisant une partie de la population qui reste sceptique quant à l'intégration européenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron