Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous avez assisté au Théâtre National de Bretagne à Rennes à un spectacle de théâtre contemporain qui s’est terminé dans une euphorie totale, racontez-nous.
Oui, tous les spectateur·rices étaient debout les bras levés et faisaient un klapping en hurlant en chœur Lens ! Lens ! Lens ! menés par un personnage étonnant présenté comme le président des Ultras du RC Lens avec sur la scène la fanfare du club et les majorettes. Le délire, au bout de 90 minutes de spectacle, la durée d’un match de football.
Mettez-nous dans l’ambiance, décrivez-nous le décor !
Sur la scène un morceau de tribune et une baraque à frites chez Momo et avant l’arrivée de vrais supporter·rices du Racing Club de Lens, des portraits filmés sont projetés, d’abord collectifs, l’ambiance dans les bars, dans la ville de Lens puis plus intimes. Ainsi chez Mémé Dupuis, 85 ans et ses 38 descendant·es, enfants et petits-enfants dont la vie entière se nourrit du club de football. Kevin, 20 ans, s’excuse de s’appeler Kevin comme la moitié des supporter·rices ! Chacun parle de son amour du foot, emmené la plupart du temps par un père tous les dimanches. Kevin raconte l’anecdote irrésistible de l’arbitre qui a perdu sa mère la veille du match et pour qui exceptionnellement le stade offre une minute de silence, puis le jeu reprenant et ledit arbitre refusant un but, les supporter·rices ne pouvant le traiter de fils de pute, insulte habituelle, l’un d’eux a une idée de génie en le traitant d’orphelin de pute, repris par tous les supporter·rices lensois·es !
Finalement ça correspond aux clichés des supporter·rices de foot.
Oui et non car peu à peu au-delà des préjugés que nous pouvions avoir sur les supporter·rices, grossier·es, vulgaires, hooligans, bagarreur·ses, se dégagent une grande humanité, un fort attachement à une région, le nord, à une ville meurtrie par l’abandon de l’exploitation du charbon puis des industries, un amour désespéré malgré les magasins fermés, le chômage endémique des jeunes, les vacances au camping tout près. Même si le musée Le Louvre-Lens s’est installé, la population ne s’en est pas emparé, semble–t-il. Alors que les dimanches au stade, les chants, la musique, la bière, les drapeaux, les majorettes, tout cela réchauffe le cœur et permet durant 90 minutes d’oublier la réalité plus que difficile que vivent la plupart des supporter·rices, même si le stade reste encore le dernier endroit où se mêlent les classes sociales.
Quelques figures vous ont marquée ?
Un prêtre, ancien footballeur professionnel, avoue son renoncement douloureux au football pour les ordres ecclésiastiques et reconnaît que pour que Lens remonte en ligue 1, le soutien de l’église ne suffira pas.
Quant à Georges, Monsieur Drapeau, il fait danser son immense drapeau de sept mètres de long et 12 mètres carrés de draperie cousue à la main par sa mère, sur le Stabat Mater chanté de Vivaldi, c’est sublime !
Ce spectacle est construit comme un match avec une première mi-temps, un entracte et une seconde mi-temps.
A côté de moi, comme sur une tribune, je sympathise avec un couple de vrais supporter·rices du RC Lens, exilé·es depuis trente ans à Saint-Brieuc ; nous achèterons les premières barquettes de frites à l’entracte, nous en rêvions et le spectacle l’a fait, bon rien à voir avec les bonnes frites du nord mais nostalgie oblige !
La fanfare a continué dans l’accueil du théâtre, emportant les spectateur·rices euphoriques, ravis et certainement délestés de nombre d’a priori et de stéréotypes concernant les supporters, en tout cas ceux du RC Lens. Ils nous ont fait rire, nous ont émus aux larmes, et nous ont fait hurler avec le président des Ultras : « Lens ! Lens ! Lens ! avec nos tripes, avec notre âme, pour nos mineurs, pour nos ancêtres, et pour l’entendre jusqu’à Lens. »
Stadium, créé en 2017 par Mohamed El Khatib, à Douai dans le nord, est passé par Paris et de nombreuses villes en France mais aussi à Vienne en Autriche, Hambourg, Anvers, Dresde, Naples, Bruxelles.
Prochaines dates : du 23 au 26 mars 2023 à Lyon, Théâtre de la croix rousse.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.