Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous avez assisté à des rencontres littéraires italiennes, racontez-nous.
Les contrôleur·ses de la SNCF n’y sont pas allés de main morte, ce premier week-end de décembre, Plus de 60 % des trains annulés pour cause de grève ! Impact immédiat sur les rencontres littéraires italiennes, organisées à Nantes par l’association Impressions d’Europe : leurs têtes d’affiche furent absentes ! Ainsi Antonio Scurati, auteur de la tétralogie sur le fascisme et Mussolini est resté à quai avec Paolo Rumiz, un comble pour le plus grand écrivain-voyageur italien d’aujourd’hui ainsi que Cristina Comencini, fille de, réalisatrice et écrivaine, sans oublier Tonino Benacquista issu d’une famille d’émigrés italiens, bien reconnu en France.
Qui restait-il alors ? Et quels étaient les sujets abordés ?
Eh bien ce fut l’occasion d’écouter et de découvrir pour ma part, entre autres invité·es, deux auteures italiennes, installées en France depuis longtemps. Et notamment leurs récits familiaux fictionnalisés.
J’ai été touchée par Laura Ulonati, 40 ans tout ronds. Cheveux mi-longs bruns, l’air grave presque austère dans sa robe longue en lainage gris. Elle a dédicacé son livre Dans tout le bleu, son deuxième roman, à sa grand-mère, archétype de l’émigrée des années 60, qu’elle a beaucoup interrogée, mue par l’urgence de la perte de la mémoire. Parce que toute une génération des émigré·es par nécessité, qui ont servi de bras dans les mines et les usines en France, n’avait qu’un objectif : s’in-té-grer et se faire oublier dans la masse et oublier d’où on venait pour ne pas souffrir.
Quelle incidence sur les générations à suivre ?
L’émigration n’est jamais un choix. Laura Ulonati parle du grand saut, du traumatisme et de l’arrachement de l’histoire qui influencent le modèle familial. Elle croit en les forces telluriques qui nous traversent. L’écrivaine puise dans la mythologie romaine pour faire sentir toute l’épaisseur du temps, des temps qui se superposent. D’ailleurs son personnage principal est une archéologue qui fouille à la recherche de ses origines.
La bande son de son livre est Volare de Domenico Modugno, succès de la fin des années 50
Volare, oh oh… …
Cantare, ohohoho…
Nel blu dipinto di blu
Felice di stare lassù
Le bleu c’est la couleur du rêve des immigré·es sur la Riviera et sans doute Laura Ulonati rêve en bleu peint en bleu.
Qui d’autre dans ces rencontres vous a fait forte impression ?
Une féministe, une femme de paroles, journaliste, écrivaine et productrice de documentaires pour France Culture.
Il s’agit de Simonetta Greggio, née en 1961 à Padoue, elle arrive en France à l’âge de 20 ans en rupture totale avec sa famille, sa langue et son pays. A son père violent qui voudrait lui couper la langue, elle réplique en n’écrivant qu’en français la langue de la revanche. La violence c’est le fascisme, dit-elle et le fascisme, c’est le père. Le patriarcat c’est le fascisme à l’encontre de la liberté de l’individu.
L’écrivaine évoque la transparence du temps, même si chaque jour se dépose sur l’autre. Elle raconte les fresques de propagande mussolinienne ressurgissant sous la peinture comme un écho au parti néo-fasciste de Georgia Meloni. Son modèle : Oriana Fallaci, essayiste et journaliste à la parole libre. Son credo : liberté. Et son message, chacun·e peut écrire car chacun·e est unique et l’agencement des mots sera le vôtre, unique. Autorisez-vous à devenir écrivain·es.
Ce sont des essais politiques ?
Non. Simonetta Greggio écrit des romans et nous présente son autobiographie de l’Italie : Dolce Vita 1959 – 1979 ; Les nouveaux monstres 1978 – 2014 et enfin Bellissima, il s’agit de sa propre mère, roman écrit à la première personne, je, pour la première fois et sur lequel elle a beaucoup pleuré en l’écrivant, nous confie-t-elle. Sa parole est affirmée, on sent une femme de combat qui a lutté pour devenir ce qu’elle est. Simonette Greggio se désole de ne voir dans la salle que des personnes de son âge et s’inquiète de savoir qui va écouter ses mots, les mots des écrivain·es. Elle déplore que la culture ait été dévastée en Italie par Berlusconi.
On a aussi beaucoup parlé du polar italien avec Marcello Fois et Gilda Piersanti, très différent du polar français car lié à l’histoire du pays ou encore aux grands thèmes mythologiques comme Marcello Fois. D’ailleurs de grands noms de la littérature italienne s’y sont engagés comme Umberto Ecco, Leonardo Sciascia, Dino Buzzati ou Carlo Emilio Gadda.
À nous, à vous les livres formidables en attendant de les écrire !
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.