Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous êtes allée faire un tour des galeries d’art à Nantes, qu’avez-vous rapporté dans votre besace ?
Le samedi à Naoned, c’est le tour des galeries, d’art bien sûr ! Deux lieux très différents : L’Atelier, de 500 m2, l’ancien atelier du sculpteur Gérard Voisin, géré par le service culturel de la Ville de Nantes depuis 2008 et le Passage Sainte-Croix, géré par le diocèse de Nantes. Né en 2010, son objectif est de mettre l’homme et ses questionnements au centre du projet, au croisement des cultures religieuses et profanes en ouvrant une parole favorable au dialogue ».
Commençons par l’Atelier, « Jouer contre les appareils (de la photographie expérimentale) », c’est le titre de l’exposition, racontez-nous
C’est d’abord le titre d’un livre de Marc Lenot, polytechnicien, né en 1948, présentant les travaux d’une centaine de photographes expérimentaux. Il s’appuie sur les thèses du philosophe brésilien Vilém Flusser. Pour lui, après la rupture constituée par l’écriture linéaire inventée voici presque 4000 ans, l’invention de la photographie en constitue une autre dans l’histoire de l’humanité. Et il précise « L’appareil fait ce que veut le photographe et le photographe doit vouloir ce que peut l’appareil. » En très gros résumé, les programmes des appareils détermineraient les conduites individuelles et les possibilités créatrices. C’est dingue, ce sont les machines qui dictent notre nouvelle visualité ! L’Intelligence Artificielle s’invite déjà, alors qu’on n’a pas encore pris conscience de cette emprise technologique. C’est la machine qui nous contraint.
Et ça ne date pas d’hier ! Depuis Aristote et la description du sténopé, qui veut dire un petit trou en grec, Léonard de Vinci, lui a décrit la camera oscura et son petit trou permettant d’intercepter les images d’objets avec leurs formes et leurs couleurs mais plus petits et inversés. Canaletto au XVIIème siècle utilisait l’ancêtre de l’appareil photographique pour peindre ses vues de Venise.
Et donc qu’expérimentent les photographes de cette exposition ?
L’intérêt de l’exposition, c’est d’entrer dans le jeu. Celui avec la matière sensible, le papier photographique et avec la créativité pour se passer des appareils. Les dix-sept artistes présentés jouent donc contre les appareils, c’est-à-dire contre les machines photographiques mais pas seulement, ils jouent aussi contre tous les dispositifs d’usage comme l’objectif, la prise de vue, le développement et le tirage conventionnels. Ces photographes-là font fi des règles de la photographie et lâchent prise. C’est le hasard, l’accident, l’altérité qui les guident. Ce qui n’empêche pas certains de suivre des processus ou des protocoles rigoureux.
Comment ces photographes sans appareil font-ils de la photo ?
Vous l’avez compris, il s’agit d’être créatif pour se libérer des contraintes de l’appareil. Certains réalisent des photogrammes obtenus par une simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse. Technique mise au point par Man Ray dans les années 20. Soient des objets comme les tissus de Pierre Sabatier, les Froissés ou le Plissé quadrillé, soit des corps nus accumulés par Henri Foucault chutant du ciel comme autant d’anges déchus. Le simple souffle d’Evelyne Coutas et les humeurs de son corps comme la transpiration réagissent avec les sels d’argent du papier photographique tandis que Morgane Adawi donne à voir les empreintes de ses seins et de son sexe, semblables à des fleurs étranges.
Autre pratique, intervenir chimiquement au moment du développement ou du tirage, avec gouttes de parfum, fixateur ou révélateur ou toutes sortes de produits. Ainsi Flora Fanzutti avec l’aide d’un microscope explore et bidouille de la matière photographique créant des vedute (vues en italien), intrigants paysages en noir et blanc circulaires de petit format.
Araignées, mouches, fourmis font la joie de Patrick Bailly Maître -Grand qui les photogramme, les rayogramme, les strobophotographie. Xavier Navatte lui gratte ses pellicules impressionnées et restitue les reflets en lambeaux de formes disparues. Etc
Et quant au Passage Sainte-Croix, qu’avez-vous retenu ce l’exposition intitulée « …Au détour des silences » ?
Ils sont quatre artistes et c’est autour de la fragilité que sont rassemblées leurs œuvres. Les archipels sur papier chinois de Elisabeth Wadecki dessinent une cartographie du vide et de la disparition possible. La monochromie voulue par Jean-Michel Nicolau photographe, teinte de mélancolie les petits riens du monde, une fleur qui se fane, un mur fissuré. Tandis que Jacqueline Pécantet invente de précieux artefacts archéologiques où se mêlent écritures et céramiques. Quant à Marie Drouet, elle porte une particulière attention au vivant non-humain, en l’occurrence aux plantes et aux végétaux, fanés ou déracinés. Ses très beaux dessins finement ciselés se délitent dans des triturations des encres, aquarelles ou crayons de couleur, délivrant une beauté en péril. Les chants désespérés ne sont-ils pas les plus beaux ? – « Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots » écrivait Alfred de Musset
À voir donc à Nantes « Au détour des silences », au Passage Sainte-Croix jusqu’au 2 mars « Jouer contre les appareils » à L’Atelier, jusqu’au 10 mars.