Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Les “Origines”, vaste thématique de la Folle Journée 2024 de Nantes ! La semaine dernière, Patricia Solini nous a présenté les origines cosmologiques de la musique. Vous nous parlez aujourd’hui de ses origines humaines.
Effectivement, la nature, qu'elle nous soit proche ou lointaine, des oiseaux aux ondes gravitationnelles, inspire toujours l’être humain musicien. Mais c'est bien cet être humain, artiste et artisan, qui est à l’origine de la musique. Cette 30e édition de la Folle Journée avait donc un grand intérêt pour les amoureux de l’organologie, l’étude des instruments de musique. En effet, de très nombreux instruments rares pour un festival de musique classique ont été présentés. Notamment des ancêtres de nos instruments actuels : je pense par exemple à l’oud iranien, ancêtre du luth et de la guitare, ou bien au psaltérion, instrument à cordes qui nous vient de la Grèce antique, qui a évolué pour donner les cithares au Moyen-Âge, le clavecin à la Renaissance, et enfin le piano au XVIIIe siècle.
Et si on remonte encore plus loin dans le temps, quel est le tout premier instrument de musique ?
On a parlé la semaine dernière d’instruments préhistoriques, comme les lithophones ou les flûtes en os, les plus anciennes datant de plus de 35 000 ans.
Mais l’instrument originel, c’est, très probablement, la voix humaine. Il est certes difficile - peut-être impossible - de le prouver, mais il semble assez évident qu’à partir du moment où l’homme a été anatomiquement capable de communiquer dans un langage parfaitement articulé (c’est-à-dire il y a au moins 60 000 ans), il pouvait également chanter. D’ailleurs, la musique vocale, comme le langage donc, n’appartient peut-être pas qu’à l’Homo sapiens : il semble que l’Homme de Néandertal avait déjà de bonnes capacités vocales.
Bien plus tard, au Moyen-Âge, quand l'être humain s’est lancé dans l'écriture de la musique, c’est aussi par la voix qu’il a commencé. Cette voix, d’abord seule, celle du chant grégorien, puis plurielle, avec le développement de la polyphonie. Cette voix humaine, aux origines de toute la musique classique (classique ici, dans son sens le plus large). La voix était donc l’instrument central lors de cette édition de la Folle Journée.
Justement, le concert de l'ensemble vocal Vox Clamantis dirigé par Jaan-Eik Tulve a particulièrement retenu votre attention.
Oui, ce chœur estonien a présenté le programme “Da pacem, Domine”, qui correspond totalement à la thématique "Origines". D'abord, parce que c'était un concert exclusivement vocal donc.
Ensuite, parce que le répertoire chanté était extrêmement large : 850 ans de musique en 45 minutes de concert. Nous sommes passés du O ignis spiritus d’Hildegard von Bingen, moniale, docteur de l'Église et compositrice du XIIe siècle, au Gloria d'Helena Tulve, compositrice estonienne née en 1972. Son Gloria, écrit en 2023, était présenté pour la première fois en France.
Malgré cet écart temporel extrêmement important, on sent une réelle unité dans l'atmosphère créée par Vox Clamantis. Les compositrices et compositeurs s'appuient en effet toujours sur le travail de leurs prédécesseurs. Ainsi, Hildegard, l'une des premières à noter la musique, s'est inspirée du chant grégorien qui existait déjà depuis plusieurs siècles. Anton Bruckner, compositeur autrichien du XIXe siècle, intègre dans son motet Os justi un Alléluia grégorien, et utilise des modes anciens. De même, Maurice Duruflé, organiste et compositeur français du XXe siècle, a écrit Quatre motets sur des thèmes grégoriens, pièces également présentées lors du concert de Vox Clamantis.
L'autre unité dans ce programme couvrant presque toute l'histoire de la musique notée, c'est le sens des textes chantés, de sources principalement bibliques. Car l’une des origines de la musique classique, c'est aussi le religieux.
Un autre compositeur contemporain pour qui le texte est très important était également à l'honneur dans ce programme.
En effet, Vox Clamantis a présenté quatre pièces de leur compatriote Arvo Pärt. Né en 1935, Arvo Pärt a créé son propre style, nommé tintinnabuli, une musique sobre, spirituelle, qui transmet beaucoup avec peu de matériel musical. Nous avons eu la chance d'interviewer Jaan-Eik Tulve, fondateur, directeur artistique et chef de Vox Clamantis. Il nous a expliqué les origines médiévales de cette musique très actuelle : Arvo Pärt a ajouté à la voix mélodique unique du chant grégorien, une seconde voix qui, comme les cloches d'une église, répète régulièrement les trois mêmes notes.
Cela peut sembler assez paradoxal, mais il est très difficile d'interpréter correctement des choses qui, de prime abord, peuvent paraître très simples, de rendre musicale une partition relativement dépouillée. Et lorsque c'est réussi, cette construction simple est incroyablement émouvante.
Aidés par une direction précise et délicate, les 14 chanteurs de Vox Clamantis nous ont justement offert un concert d'une qualité exceptionnelle, donnant une interprétation particulièrement touchante du Nunc dimittis d'Arvo Pärt.
Ce concert de Vox Clamantis, enregistré à Nantes le 2 février, est disponible gratuitement sur arte.tv
Intervenant : DAVID GUÉRIN MARTHE
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.