Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
C’est au théâtre où vous nous invitez mais à la maison, racontez-nous.
Ça s’est passé un jeudi soir à Nantes, nous étions une douzaine de spectateur·rices invité·es à assister à une représentation théâtrale, en italien, dans le salon d’un·e des comédien·nes. Je précise qu’il s’agissait de théâtre amateur, que la pièce ne durait pas plus de 40 minutes et que c’était gratuit ! Ami·es, collègues de travail ou parfait·es inconnu·es, nous prîmes place sur les chaises et fauteuils à deux pas de la « scène » composée d’un canapé, de deux fauteuils, d’une table basse et de trois tableaux représentant une belle vague, un sous-bois et un oiseau bariolé. Les lampes d’appoint du salon composaient le seul éclairage et le rôle de technicien du son fut dévolu au metteur en scène assis devant son ordinateur portable et son enceinte Bluetooth.
Quel était le sujet de la pièce ?
À la suite de l’élection en Italie en 2022 de Georgia Meloni, présidente du parti d’extrême-droite et national-conservateur Fratelli d’Italia, au poste de Première ministre, ce groupe d’amateurs d’italien et de théâtre a imaginé les conséquences possibles de cette élection en écrivant une action se situant en 2030. Une grande bourgeoise, peintre à ses heures, a invité le directeur d’un journal important, un financier sans scrupules et une amie, très bonne cuisinière, à un apéritif chez elle, afin de leur présenter un jeune écrivain plein de talent nécessitant un coup de pouce à la fois financier et médiatique pour publier son livre. Avant l’arrivée de ce dernier, ils discutent d’une loi, qu’ils estiment tout à fait juste, contrôlant sous la forme d’un bracelet électronique, l’accès au cœur de la Cité, dénommée Civitas, aux Omega, c’est-à-dire à la race inférieure des travailleur·ses et des employé·es. Civitas n’est habitée que par les Alpha, la race supérieure, ce dont semble faire partie le quatuor.
Cela rappelle les heures sombres de l’Apartheid en Afrique du Sud, que se passe-t-il ensuite ?
Le jeune écrivain arrive et raconte l’objet de son livre, hymne à la solidarité et à la fraternité afin de retrouver les valeurs disparues, ce qui n’est évidemment pas du goût des hôtes de la grande bourgeoise, qui, confuse, pour faire diversion, propose des vols au vent, (en français dans le texte italien) à tout bout de champ. Ce qui amène un ressort humoristique libératoire à cette pièce sombre. Quand le jeune homme, écœuré devant les réactions répugnantes, dévoile après un monologue fort émouvant son propre bracelet électronique signifiant qu’il est un Omega, donc un être impur, c’est la débandade dans le salon. Le jeune homme tombe foudroyé, tandis que l’amie cuisinière, lui susurre à l’oreille qu’il est trop impulsif, qu’il faut du temps pour changer ce monde mais c’est sûr un jour, ils y arriveront, un jour, ils verront les étoiles. Et ce disant, la voilà qui découvre son propre bracelet la désignant comme Omega.
En quoi c’est intéressant ce type de théâtre amateur à domicile ?
D’abord c’est du tout fait maison, depuis l’écriture du texte à plusieurs jusqu’à la mise en scène, professionnelle celle-là par le metteur en scène italien et animateur du groupe. Peu de moyens sont nécessaires, avec de l’envie, de l’énergie, des choses à raconter, tout le monde peut s’y coller. Pour les comédien·nes amateur·rices, le stress est moindre devant un public bienveillant et dans un cadre familier qui agit comme une sorte de cocon où ils se sentent à l’abri de tout jugement. Pour le public, la proximité du jeu, lui permet de faire corps avec la pièce, il en est un des éléments principaux, il se sent aussi privilégié, il y a peu d’élus dans un espace restreint. Bref l’atmosphère est très douce, et à la fin du spectacle, tout ce petit monde se mélange autour d’un verre et de grignoteries pour échanger sur leurs ressentis et bien d’autres sujets.
Cette histoire de théâtre à domicile n’est quand même pas récente ?
De fait, il est né Outre-Atlantique dans les années 50 pour inviter le·la spectateur·rice non plus dans un lieu dédié mais pour aller à la rencontre de ce·tte spectateur chez lui. À l’époque, c’était pour des raisons d’ordre pratique notamment dans les zones rurales très éloignées des lieux de diffusion.
On pourrait rappeler aussi les comédien·nes ambulant·es jouant sur des tréteaux dans toute la France, comme la troupe d’un certain Molière avant que Paris ne se dote de théâtres sous Richelieu en 1629.
Mais là il s’agit vraiment d’entrer dans l’intimité des gens, qui ouvrent généreusement leur porte pour accueillir l’inconnu, qu’il soit comédien ou public. Évidemment la question de la rémunération se pose quand le spectacle est professionnel, le plus souvent, c’est une rémunération au chapeau ou un forfait proposé à l’accueillant·e.
Vous recommandez donc le théâtre à domicile, amateur ou professionnel ?
Dans ces temps difficiles, violents, instables, déshumanisés, le théâtre, amateur ou pas, en appartement ou à la maison est peut-être une façon de renouer avec l’autre, avec la création, avec le jeu, avec le texte, sans préjugé et sans appréhension.
En conclusion, écrivez sur des sujets qui vous tiennent à cœur et jouez devant vos ami·es, vos collègues et vos voisin·es, en italien, en français ou dans n’importe quelle langue, ce qui compte c’est l’émotion sincère qui s’en dégage et ce soir-là l’émotion était à son comble, même pour les non-italianisant·es, sensibles au jeu de nos comédien·nes amateur·rices.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.