Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous êtes allée visiter l’exposition consacrée à Pierrick Sorin au musée d’arts de Nantes, artiste pour lequel vous avez une particulière affection, dîtes-nous tout
Ce que j’aime chez Pierrick Sorin c’est qu’il tente de « faire bonne(s) figure(s) », très judicieux titre de son exposition au musée d’arts de Nantes et qu’à 63 ans il tente encore et encore comme personnage central de ses œuvres de faire bonne contenance en se coltinant à des problèmes du quotidien. Pierrick Sorin, c’est un comique qui ne rit pas, à la manière d’un Beaster Keaton, c’est un naïf qui s’interroge à la manière des Bouvard et Pécuchet de Flaubert, c’est un poète qui s’affranchit du réel à la manière d’un Jacques Tati.
Au centre une projection de grande taille montre un laveur de carreaux, l’artiste lui-même, derrière une vitre se livrant à des expériences picturales comme un clin d’œil moqueur au film d’Henri-Georges Clouzot de 1956, Le mystère Picasso. « Peindre et nettoyer ou la volonté à l’œuvre », c’est le titre de cette vidéo de 2024. Et c’est ce pas de côté de Pierrick Sorin, ce regard décalé sur le quotidien et l’utilitaire qu’il décline dans toutes les installations et les théâtres optiques où l’on retrouve aussi un goût pour Jules Verne et ses romans d’aventures.
Depuis ses auto-filmages de 1988 quand il sort diplômé des Beaux-arts de Nantes, jusqu’à ses installations piégeant le spectateur, ses fictions narratives égratignant l’art contemporain, ses saynètes en hologramme mises en boîte et ses scénographies pour l’opéra, Pierrick Sorin est un formidable artiste qui n’a pas perdu une once de son âme d’enfant. Une ritournelle fredonnée à l’âge de 4 ans, « Je m’en vais chercher mon linge », enregistrée et recyclée en play-back dans un auto-filmage nous attendrit. Car ce qui est aussi émouvant dans cette exposition, c’est le passage du temps sur l’artiste lui-même au fil de ses œuvres.
Il s’agit donc essentiellement de vidéos ou de dispositifs à effet holographique ?
Oui dont l’unique personnage est Pierrick Sorin. Il incarne tous les personnages de ses histoires, des êtres plutôt maladroits et mal fagotés, filmés en hologrammes et projetés dans des intérieurs fabriqués. C’est drôle et fortement chargé en poésie. Il y a « les bruiteurs bruités », ou « I would like to live in a doll House”, j’aimerais vivre dans une maison de poupée, où l’artiste a mis en scène un homme qui au travers d’une chanson exprime son rêve de vivre dans un petit univers à l’harmonie très convenue, mais qui, finalement reconnaît son inaptitude à épouser un tel modèle de bonheur. Ou encore « Le Visualiseur personnel d’images mentales », un personnage expérimente une machine à lire les rêves, en l’occurrence un souvenir d’enfance désagréable.
Ne manquez pas d’écouter la conférence vidéo de Henri-Paul Delors-Athouar, (jeu de mots) fin connaisseur de la vie et de l’œuvre de Pierrick Sorin, évidemment interprété par lui-même et qui présente les différents travaux de l’artiste, notamment à travers des captations de spectacles.
Pierrick Sorin serait donc un amuseur, un humoriste de l’illusion ?
Ses historiettes peuvent être grinçantes, ainsi lorsqu’il interprète 7 artistes invités par la Ville de Nantes pour réaliser des œuvres dans l’espace public. Pierrick Sorin utilise tous les codes des documentaires d’une chaîne culturelle célèbre pour présenter la Ville et les artistes. Ça s’appelle « Nantes, Projets d’artistes ». On pourrait croire à une critique du Voyage à Nantes mais la vidéo a été tournée en 2001, soit plus de 10 ans avant. C’est une parodie de l’art contemporain et ses artistes, dont Pierrick Sorin joue tous les rôles depuis le présentateur jusqu’à chaque artiste homme ou femme. C’est très drôle.
Et une première expérience formidable avec l’utilisation de lunettes 3 D car l’artiste a toujours selon ses mots « eu le désir de voir vivre des images en-dehors d’un écran…. Au-delà du simple effet 3 D, l’intérêt particulier est de créer une rencontre en peu trouble entre illusion et réalité, entre une image et de véritables objets ». L’installation s’intitule « Et si c’était la lune… « »
Ne pas manquer dans la Chapelle de l’Oratoire, la suite de l’exposition avec les installations comme le Ballet mécanique en lien avec l’univers de Fernand Léger. Images et sons sont générés par des dispositifs mécaniques. Et c’est tout un jeu d’ombres et de lumières, d’images projetées de formats divers, d’hologrammes et d’objets, comme si nous avions fini par nous glisser dans un théâtre optique de la taille d’une chapelle et que l’artiste se jouait de nous.
À ne surtout pas manquer l’exposition Pierrick Sorin. Faire bonne(s) figure(s) au musée d’arts de Nantes jusqu’au 1er septembre.
Et les 15 et 16 juin, performances sonores au milieu des œuvres avec l’artiste et ses invités musiciens.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron