Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Le ciel de Nantes, c’est une pièce de théâtre de Christophe Honoré et ça s’est passé au Théâtre National de Bretagne à Rennes, racontez-nous
Je connaissais le cinéaste réalisateur de 14 longs métrages, pas tous vus, et ignorais tout du metteur en scène de théâtre. « Le ciel de Nantes » c’est d’abord un livre de Christophe Honoré publié aux Editions Les Solitaires Intempestifs en 2021, suivi de la création d’une pièce de théâtre aux Célestins-Théâtre de Lyon, la même année.
Nantaise d’adoption, donc un tantinet, chauvine, je ne pouvais qu’être accrochée par ce « ciel de Nantes », où pleut le chagrin abyssal de Barbara. Ce sont d’ailleurs les premières notes jouées au piano qui accompagnent la découverte du décor, salle d’un cinéma vieillot, abandonné où sept personnages tour à tour vont exhumer leur histoire intime, revue et corrigée, embellie ou cachée mais secouée par les uns et les autres qui forment ce qu’on appelle une famille.
Le ciel de Nantes, c’est l’histoire de la famille de l’auteur, du côté maternel, autour de la figure centrale d’Odette la grand-mère, deux mariages et un enterrement. Autour d’elle, outre le réalisateur- récitant, Christophe, son petit-fils et quelques-uns de ses enfants dont la mère de l’auteur, un oncle et deux tantes.
Le lien avec le cinéma, c’est le film qui témoigne de leurs vies que vient voir la famille réunie par Christophe.
Et qu’a-t-elle de remarquable l’histoire de cette famille pour être ainsi écrite, filmée ou mise en scène au théâtre ?
Franchement, je dirais : rien, rien de particulier ou presque. La grand-mère dans Nantes bombardée, veuve avec deux enfants, fait la connaissance de son second époux, genre hidalgo à la petite semaine qui lui en fera six autres et la cognera. Un oncle addict au jeu, raciste pas remis des exactions commises comme militaire envoyé en Algérie lors de la guerre d’Indépendance, torturant mais ne violant pas clame-t-il !
La tante Claudie, très incertaine, elle travaillait à la CAF, a fait une première tentative de suicide en se défenestrant, mais conseille d’éviter de tomber sur l’herbe, ça ne marche pas.
L’oncle Jacques, c’est le plus sympa, le plus accommodant, le plus affectueux, le plus arrangeant, trois enfants avec Martine.
Et puis Marie-Do, la maman de l’auteur, curieusement jouée par un homme, peut-être comme une passerelle vers l’homosexualité déclarée de l’auteur, elle a épousé Claude dont elle a eu trois garçons, décédé quand Christophe a quinze ans.
Mais ce qu’il y a de formidable dans ce récit et cette mise en spectacle de la famille de Christophe Honoré, c’est que tous les protagonistes sont morts et enterrés ! Sauf sa chère maman. Et l’auteur les ressuscite parce qu’ils lui manquent tous. Et chacun de réécrire sa version de l’histoire familiale, c’est ta version, hurle l’un ou l’autre vindicatif. Car on peut être bien mort et ne pas avoir réglé ses comptes avec ses proches !
Il s’agit donc d’une comédie ?
On rit beaucoup, il est vrai, sauf à certains moments tragiques, comme dans la vie. Claudie jouée par Chiara Mastroianni, dépressive, réussira son suicide, sur du dur cette fois ! Roger aussi se donnera la mort, couvert de dettes de jeux, empoisonné par la folie meurtrière de ses vingt ans dans les Aurès et père d’un fils toxico mort du sida. Jacques, joué par le formidable Jean-Charles Clichet, s’éloigne du monde à cause de la tumeur qui lui ronge les poumons jusqu’à sa propre fin. Il a interdit à ses sœurs d’assister à l’enterrement de leur père ibérique, joué par Julien Honoré, le propre frère de l’auteur.
Entre tango et chanson susurrée de Julio Iglesias, celui-ci tente d’apprendre à son petit-fils comment séduire les femmes ! Il y aura donc aussi la révélation appuyée de l’homosexualité de l’auteur par la famille.
Quelquefois cela frôle le grand guignol quand le même grand-père transforme Christophe en toréador scintillant.
Il y a des éclats de voix, des pleurs, des bousculades et aussi des chansons : Alex Beaupain interprété par la mère, un titre de Joe Dassin bricolé par Jacques, Spacer, le tube disco de Sheila et le groupe Dépêche Mode
Bref toute une époque rejouée sous nos yeux avec ses excès, ses non-dits, ses souvenirs bricolés comme dans toutes les familles. Et avec une grande tendresse pour tous nos disparus.
A voir « Le ciel de Nantes » de Christophe Honoré à La Comédie de Clermont-Ferrand, à Anthéa, Antipolis Théâtre d'Antibes en mars, à La Villette – Paris en avril, etc
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.