Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Il y a cinq ans, fin novembre/début décembre 2015, c’était la COP21, la grande conférence mondiale sur le climat à Paris. Cette année, on devait organiser – logiquement – la COP26. A Glasgow, pour être précis. Sauf que … il y a eu la crise sanitaire.
C’est fou ce qu’on utilise la « sauf que » ces jours-ci, vous ne trouvez pas ? On parle de n’importe quel aspect de nos vies quotidiennes, puis on ajoute « sauf que » pour rappeler, avec ou sans soupir, que malheureusement, ce n’est plus possible.
Mais il y en a aussi qui ne se contentent pas du « sauf que ». Je parle des organisateurs, très jeunes, de la « Mock COP 26 », ce qu’on pourrait traduire par « la COP 26 fictive » ou « la COP26 parallèle ». Après l’annulation et le report de la grande conférence de Glasgow, ces jeunes activistes pour le climat, dans le sillon et avec le soutien de Greta Thunberg, ont mis en place un événement virtuel de grande envergure, pour faire entendre leur voix.
Franchement, c’est formidable. Une conférence mondiale des jeunes, par les jeunes, et pour les jeunes, pour paraphraser la fameuse phrase d’Abraham Lincoln sur la démocratie. Autant d’intelligence, de sens critique, de volonté d’agir en suivant sa boussole éthique, sans parler de débrouillardise pratique, il doit y avoir deux ou trois trucs que nos systèmes d’éducation réussissent.
Je vous mets le lien vers le site web de l’événement, ainsi que vers un article qui développe le sujet. Et si vous êtes sur Facebook, Twitter ou Instagram, vous n’aurez aucun mal à les retrouver en tapotant « M-O-C-K-C-O-P » - « Mockcop ». Si j’avais vingt ans aujourd’hui, je sais où je passerais le plus clair de mon temps durant les deux semaines qui viennent, et ce ne serait pas devant Netflix.
On dirait que vous êtes un peu jaloux de ne plus faire partie des jeunes !
Loin de là. Car elle n’est pas gâtée, cette génération. Comme l’a dit Greta Thunberg à de multiples reprises, elle est en train de se faire voler son avenir. Et avec la COVID, elle se fait en plus voler le présent, les années du bac, le début des études, les séjours ERASMUS, l’insertion sur le marché du travail.
Vous-même, à l’âge de 20 ou 22 ans, aviez-vous déjà une conscience environnementale ?
Cela date, le début des années 1980, mais oui, elle était naissante, cette prise de conscience. On se mettait à parler beaucoup de pollution, on commençait à comprendre ce que « développement durable » voulait dire, mais le concept du « changement climatique » n’existait pas encore.
Pourtant, il y avait des livres qui l’anticipaient déjà. J’ai été très marqué par l’ouvrage d’un scientifique allemand du nom de Hoimar von Dithfurth, intitulé Allons donc planter un petit pommier. Ce titre faisait référence à une citation de Martin Luther sur la fin du monde qui n’allait pas l’empêcher de planter un pommier.
Ce livre occupa la tête des classements de ventes pendant des semaines, alors qu’il ne contenait aucune bonne nouvelle. J’ai retrouvé ma vieille édition de poche dans ma bibliothèque et j’ai été frappé par la clairvoyance de l’auteur.
Sans parler de « biodiversité » - un concept relativement récent – il évoquait la disparition fulgurante d’un grand nombre d’espèces et l’accélération que celle-ci allait sans doute connaître.
Il décrivait les processus politiques qui font que les mesures nécessaires ne sont pas prises parce qu’elles sont présumées « impossibles à imposer » aux électeurs.
Et – c’est presque drôle dans la situation actuelle – il comparait l’espèce humaine elle-même à un virus qui se propage dans l’organisme de la planète, tel un parasite qui finit par causer la perte de son organisme hôte, et la sienne avec.
Et en même temps, il exprimait une certaine compassion avec l’être humain, tellement prisonnier de ses limites cognitives et de ses mécanismes psychosociaux qu’il ne parviendrait pas à faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard.
Wow. Pas le genre de lecture qui remonte le moral.
Sauf que… Sauf que nous avons besoin qu’on nous remonte les bretelles plutôt que le moral. Et c’est exactement ce que les jeunes organisateurs du sommet virtuel pour le climat sont en train de faire. Contrairement à ma génération, qui s’est contentée d’une prise de conscience, s’est gentiment mise au tri des déchets et a voté pour les nouveaux partis écologiques, ils sont plus déterminés, plus courageux, plus connectés. J’ai un peu honte qu’ils soient obligés de faire le vrai boulot à notre place.
crédits photo: Singkham