Chaque semaine, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management à Angers nous fait part de son bloc notes, et nous renseigne sur les grands sujets européens.
La deuxième semaine de la COP27 se termine, et vous restez dans la thématique de vos deux dernières chroniques, à savoir : le changement climatique.
Je ne vois pas de sujet plus brûlant, dans tous les sens du terme. Et après avoir imaginé, il y a 15 jours, d’avoir 20 ans en 2022, je me projette aujourd'hui vers l'avenir : quel regard posera-t-on en 2062 sur notre décennie actuelle ? Quelles mesures auront été prises ? Qu’aura-t-on fait de ces années ? L’humanité aura-t-elle réussi à maîtriser, ne serait-ce que partiellement le réchauffement de plus en plus incontrôlable et à limiter les dégâts ?
Ah, je vois : après un édito au conditionnel, vous m’en proposez un au futur 2 !
C’est un peu ça. En fait, c’est la perspective qu'adopte un livre que j'ai dévoré il y a quelques mois et qui ne m'a plus lâché depuis. Pour tout vous dire, je pensais être trop blasé pour me faire agripper, puis bousculer par un roman qu'on classera, faute de mieux, dans le rayon « science-fiction ». En tout cas, dans les pays anglophones, car il n'a toujours pas été traduit en français.
Je ne savais même pas qu'il vous arrivait de lire de la science-fiction !
Moi non plus, figurez- vous. Mais j'ai été interpellé, d'abord par le titre – The Ministry for the Future (le ministère de l'Avenir, donc) – puis par une recension dans une revue littéraire américaine fin 2020. Et, à la première occasion, je me le suis fait rapporter d'Angleterre. Puis, l'été dernier, je l'ai lu d'un trait, malgré un langage, un style, et des arcs narratifs plutôt exigeants.
En fait, même si « science-fiction » est bien le bon genre pour l’œuvre romanesque prolifique par laquelle l’auteur, le Canadien Kim Stanley Robinson, s'est fait un nom (et que je ne connais guère), The Ministry for the Future relève plus précisément de l'anticipation.
Cela paraît logique ! S'il y avait aujourd’hui un tel « ministère », cela se saurait !
C'est bien vrai. Dans le roman, « le ministère de l’Avenir » est le surnom donné par les médias à une petite institution supranationale, issue des Accords de Paris, mise en place par les Nations Unies, et chargée, faute de pouvoir réel, de mobiliser toutes les bonnes idées disponibles et de harceler les dirigeants à la fois en tant que force de propositions et mauvaise conscience incarnée.
Ce récit, qui donne l'impression d'être rédigé quelque part dans les années 2050 ou 2060, hésite longtemps entre dystopie et utopie. Sans vouloir « divulgacher », c'est la dernière qui l'emporte vers la fin. Peut-être pour que le lecteur ou la lectrice ne ferme pas son livre totalement découragé par l'ampleur du défi ?
Je sens que vous-même l'avez fermé à la fois enthousiasmé et sceptique !
Vous me connaissez bien. J'ai effectivement été conquis par cet ouvrage franchement brillant à tous les égards, par la fine compréhension des mécanismes du multilatéralisme mondiale, et par quelques idées novatrices qui méritent le détour.
Mais j'ai aussi du mal à me réjouir pleinement de l'issue plutôt optimiste du récit. Car à côté des efforts du « ministère », des ONG engagées pour sauver la terre, des scientifiques qui innovent des techniques intéressantes de « geo-engineering », et même des technocrates qui changent d'avis et de méthode, on se demande si l'humanité ne doit pas son salut d'abord aux actions d'écoterrorisme radical et ultra-violent qui prennent leur envol vers la fin des années 2020, suite à une canicule meurtrière en Inde.
Des jets privés abattus par des drôles kamikazes, des paquebots de croisière polluants attaqués en pleine mer, un forum économique mondial entièrement séquestré par des activistes cagoulé·es – ça fait froid dans le dos.
Il y a deux semaines, nous avons évoqué les activistes d'aujourd'hui, dans les musées ou sur les grandes avenues, et j’ai souligné que leurs actions étaient « non- violentes pour l'instant ».
Le resteront-elles ? A en croire Kim Stanley Robinson, l'écoterrorisme a quelque chose d'inéluctable, nourri par un désespoir amer. Et le lecteur ou la lectrice, habilement mené par le nez par l’auteur, s’attrape en flagrant délit de compréhension pour des actes de violence inédits et, en principe, intolérables. Je vous l’ai dit : lecture exigeante, vision passionnante, questionnements brûlants.
Si je vous comprends bien, pour les auditeurs·rices qui aiment lire en anglais et qui ne savent pas quoi demander pour Noël, on recommande « The Ministry for the Future », disponible en format poche et donc à un prix franchement abordable.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.