Chaque semaine sur euradio, Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, nous ouvre son bloc-notes pour partager ses idées sur les questions d’actualité, en Europe et au-delà.
Content de voir que notre rendez-vous à l’antenne n’est pas victime d’un de ces « trous de mémoire » dont vous nous parliez la semaine dernière. Aujourd’hui, vous vouliez me donner des nouvelles d’un bon vieil ami anglais que nous avons, paraît-il, en commun. De qui s’agit-il ?
De George Orwell, dont je sais que vous lui portez une grande admiration.
C’est vrai : un grand romancier, mais aussi un modèle pour nous autres journalistes.
Vous avez raison. Mondialement connu pour ses deux grandes dystopies Mille neuf cent quatre-vingt-quatre (1949) et La Ferme des animaux(1945), il est aussi vénéré, surtout dans le monde anglo-saxon, comme l’une des plus grandes plumes journalistiques du XXe siècle. On conseille aux jeunes de s’inspirer de son style, et à titre personnel, je conseille aux personnes de tout âge de surtout s’inspirer de sa droiture morale et de son honnêteté intellectuelle.
J’ai découvert un grand nombre de ses longs articles de fond, impeccablement écrits, au début de mes études de lettres, il y a plus de quarante ans, et ils m’ont fidèlement accompagné depuis. La preuve : la collection que je me suis achetée à l’époque est en train de tomber littéralement en lambeaux. Je crois que je vais m’en procurer une autre pour la retraite.
Vous vouliez me donner de ses nouvelles. Que peut-il avoir à dire plus de 70 ans après sa mort ?
À l’heure d’une guerre sur notre continent, je me suis replongé dans ses écrits sur le pacifisme, courant politique et éthique assez puissant en Angleterre et aux États-Unis au début des années 1940. Vous savez que cette thématique me travaille, puisque j’ai consacré plusieurs éditos cette année aux manifestations du pacifisme allemand (ici, ici, et ici).
Et que trouvez-vous donc chez George Orwell ?
Tout d’abord, une interrogation sincère de ce qui est juste, face à l’agression nazie. En 1936, Orwell avait pris les armes pour participer activement à la résistance contre Franco dans la guerre civile en Espagne. À son retour, il avait de gros doutes et fréquentait assidûment les milieux pacifistes de la « International Labour Party », eux-mêmes divisés sur la question.
En 1941, à force de se creuser la tête publiquement dans ses articles et de voir la guerre progresser, il a tranché. Dans un long essai intitule Le Lion et la Licorne, il qualifia le pacifisme de « curiosité psychologique » qui était surtout attrayante pour « des personnes dans situations bien protégées ».
Pour lui, les conséquences du rejet radical et absolu de toute violence ou engagement militaire finissait par ressembler à « un accueil chaleureux à Adolf Hitler ». Détail intéressant : il cultivait de très bonnes relations avec des pacifistes convaincues, dont il disait « Il ne parleront jamais de capitulation, seulement de paix. Et ils se persuaderont eux-mêmes, et peut-être d’autres, de n’agir ainsi que pour le meilleur. »
Je reconnais que le moins qu’on puisse dire est que c’est tristement d’actualité.
En mai 1945, à la toute fin de la guerre, il a publié une analyse approfondie du phénomène du nationalismedans une revue du nom de Polemic. Il y est encore plus dur : “il y a une minorité de pacifistes intellectuels dont la réelle motivation, non-avouée, semble être la haine de la démocratie occidentale et une admiration (…) pour la puissance, et la cruauté qui a réussi ».
Plus loin, il lance, « Ceux qui abjurent la violence peuvent seulement le faire parce qu’il y en a d’autres qui la commettent pour eux. »
Cela a le mérite d’être clair.
Orwell détestait la violence, à commencer par celle du colonialisme qu’il avait tout loisir à observer pendant ses années en Birmanie, aux confins de l'empire britannique.
Mais il détestait encore plus de se faire accuser d'être un « va-t-en guerre » parce que ce qu'il prônait la résistance armée contre la menace totalitaire sans scrupules.
On sent son agacement lorsqu’il glisse, dans un essai littéraire en 1947 une remarque amère sur la supériorité morale présumée du pacifisme : « Bien sûr, si vous avez adopté une croyance au-dessus de la saleté ordinaire de la politique, une croyance qui ne vous apporte aucun avantage, ça prouve forcément que vous êtes du bon côté, non ? »
C’est sûr que cela ressemble étrangement au débat d'aujourd'hui. Merci d'avoir partagé ces lectures d'une autre époque et pourtant si pertinentes pour nous.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.