Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

En colonie de vacances - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

En colonie de vacances - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.

Dernier édito avant l’été. Cela tombe bien, vous me dites que vous voulez nous emmener en colonie de vacances. C’est sympa. Où cela, exactement ?

La colonie de vacances bien particulière dans laquelle je vous invite à me suivre pour les trois prochaines minutes a été organisée il y a soixante-sept ans, en 1954, dans un grand parc de l’Oklahoma nommé d’après son lieu-dit le plus célèbre, à savoir la « Robbers Cave » , la « Caverne des voleurs ».

J’aurais préféré la plage, mais soit, je vous suis. En quoi ce parc et cette caverne peuvent-ils nous intéresser aujourd’hui ?

Le parc de la Robbers Cave a été le théâtre d’une expérience en psychologie sociale à laquelle j’ai pensé à plusieurs reprises durant cette saison qui se termine aujourd’hui et qui a été marqué de bout en bout par la pandémie et les réponses collectives qu’il était nécessaire d’y apporter.

Je vous explique :

En été 1954, le couple de psychologues Muzafer Sherif et Carolyn Wood Sherif a rassemblé un groupe de vingt-deux garçons de onze à douze ans – tous issus de la classe moyenne blanche, mais qui ne se connaissaient pas entre eux – dans un camp de vacances en plein air. Son objectif était de vérifier ses hypothèses sur les conflits entre les groupes sociaux, mais aussi sur la coopération entre eux. 

Disons-le tout de suite : une telle expérience grandeur nature, qui implique la manipulation pure et simple d’un groupe d’enfants ne serait plus pensable aujourd’hui – l’éthique de la recherche sociale a quand même fait quelques progrès. 

Bref, leur idée en travaillant avec ces jeunes garçons était la suivante : ils comptaient, par la constitution de deux sous-groupes clairement identifiés et séparés, de monter les uns contre les autres, de manière spontanée, à travers des jeux très compétitifs. 

Après une première phase pendant laquelle les deux groupes, sans se rencontrer, ont forgé des liens de cohésion entre eux, se sont donnés un nom et un emblème, on les a donc opposés les uns aux autres. 

Et que s’est-il alors passé ? Y a-t-il eu des tensions entre eux ?

Oui. C’était l’objectif de la deuxième phase. C’est de cette expérience que datent les concepts sociologiques d’endogroupe (« in-group ») et exogroupe (« out-group »). Il y a eu un processus de forte identification avec son groupe, contre l’autre. 

Mais les organisateurs avaient prévu une troisième phase, lors de laquelle les deux groupes se sont trouvés dans une situation de rareté d’eau potable, défi qu’ils étaient incapables de résoudre tout seuls. Et cette interdépendance de fait les a fait se rapprocher et travailler ensemble pour s’en sortir. Les époux Shérif en ont retiré leur « théorie des conflits réels ».

Ah, je vois où vous voulez en venir. La concurrence pour des ressources limitées fait naître des hostilités entre les groupes, la coopération dans l’intérêt commun finit par engendrer des attitudes positives.

Exactement. Vous voyez pourquoi cette expérience m’est souvent venue à l’esprit ces derniers mois, en suivant les efforts sur le plan européen de réduire la tentation d’entrer en compétition ouverte pour les vaccins et de coordonner les achats dans un objectif commun. De même, la décision – difficile mais finalement obtenue – de mettre en place un plan de relance commun ambitieux et solidaire. Ce type de réalisations, ce n’est rien d’autre que la conversion d’une situation de concurrence spontanée et quasi-naturelle en une situation de coopération réfléchie et consentie. C’est un transfert, vers un niveau supérieur, de la cohésion de groupe, vers un « in-group » plus large. C’est donc parfaitement possible d’étendre sa solidarité au-delà d’un groupe initial.

Elle rend presque optimiste, votre histoire !

Son intérêt majeur réside dans ce qu’elle dit non pas de l’action politique – là, c’est nous qui extrapolons – mais de ce qu’elle dit de la programmation mentale de l’espèce humaine, de notre logiciel hérité des temps préhistoriques. Et c’est vrai qu’elle suggère une petite lueur d’espoir pour le grand défi commun du changement climatique.

D’une manière ou d’une autre, un peu d’optimisme pour l’été, cela ne nous fera pas de mal.

Je prends ! Et je vous retrouve en septembre ?

Confiné ou pas, je serai fidèle au poste.

Laurence Aubron - Albrecht Sonntag

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