Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
Aujourd’hui, vous voulez nous faire prendre un peu de recul par rapport aux élections française et à la guerre en Ukraine, en évoquant le pouvoir de la société civile.
Connaissez-vous le « Comité Ne faites pas de vague ! »
C’est une petite blague, ou c’est un genre d’association qui existe vraiment ?
Non, aucune blague. Et oui, cette association existe vraiment. Elle est présente dans 55 pays, compte la bagatelle de trois millions d’adhérents, et mobilise 36 °000 bénévoles à travers le monde.
Ah, d’accord, c’est carrément plus grand qu’Euradio.
Oui, cela vous donne une perspective de développement. Mais cette association, aurait-elle connu la même évolution si elle avait gardé son nom d’origine – « Ne faites pas de vague » ?
La raison pourquoi j’en parle aujourd’hui est qu’il y a cinquante ans, le 4 mai 1972, les garçons de ce « comité », activistes contre des essais nucléaires américains sur l’île d’Amchitka, à l’Ouest de l’Alaska, ont officiellement fait enregistrer leur association à Victoria, au Canada, sous le nom de « Greenpeace ».
Quelques mois auparavant, ils avaient fêté leur premier grand succès politique et médiatique. Ils n’avaient certes pas pu éviter, malgré leur voyage en bateau sur place, le tir d’un missile nucléaire effectué le 6 novembre 1971. Mais ils avaient réussi à mobiliser l’opinion publique contre le danger de tsunami – d’où le « ne faites pas de vague » – et obtenu que les militaires renoncent aux trois autres tirs initialement prévus.
Ce qui est certain c’est que « Greenpeace » est un nom génial.
Entièrement d’accord, et pour plusieurs raisons. Prononçable par tout le monde, composé de deux mots anglais facile à comprendre, aisé à transformer en logo lisible et reconnaissable sans avoir besoin d’acronyme. Notoriété immédiate garantie, l’une des marques les plus puissantes mondialement. Mais surtout, doté d’un gros potentiel subliminal.
Pourquoi « subliminal » ?
Parce qu’il n’est pas évident, le lien entre la nécessaire prise de conscience écologique – résumé dans la couleur « green » – et une paix réelle et durable dans un monde marqué non seulement par l’exploitation sans scrupules des ressources naturelles mais aussi par l’exploitation séculaire du Sud par le Nord.
Cinquante ans plus tard, comme nous l’a rappelé le dernier rapport du GIEC, nous sommes sous la menace imminente d’un réchauffement climatique au-delà du réparable, mais comment mettre en œuvre des solutions mondiales à l’aide des institutions du multilatéralisme si en même temps nous n’arrivons pas à établir une coexistence pacifique avec la biosphère et sommes en guerre les uns avec les autres ? Et peu importe s’il s’agit de la « vraie » guerre, qui se déroule devant nos yeux en Ukraine ou dans un nombre d’autres théâtres, ou « seulement » de la guerre économique ou commerciale, tout aussi incompatibles avec l’impératif « green » ?
Pourtant, les garçons fondateurs de Greenpeace n’étaient pas les seuls à avoir compris l’urgence de changer de façon de penser. Coïncidence intéressante : le célèbre rapport du Club de Rome, intitulé « Les limites de la croissance », a lui aussi été présenté fin 1971 et publié en octobre 1972, il y a bientôt cinquante ans.
Je sens que vous êtes en train de retenir un soupir de lassitude, vu le temps perdu depuis.
J’espère qu’on ne l’a pas entendu à l’antenne, car je ne veux démoraliser personne. Et il est vrai aussi que, grâce à des activistes comme Greenpeace, suivis par un grand nombre d’associations environnementales, plus ou moins grandes, plus ou moins connues, le monde a véritablement pris conscience qu’il doit agir, et agir ensemble. Ceci dit, chaque COP nous rappelle que sans la « peace » entre les uns et les autres, on n’aura guère de « green », car d’autres objectifs auront la priorité.
Bon, on va conclure sur une note optimiste. Sait-on jamais si notre président fraîchement réélu, connu pour dévorer les dossiers les plus compliqués, ne finira pas, à la recherche d’une cause qui donnerait du sens à son deuxième quinquennat, par s’inspirer du rapport du GIEC et de ses recommandations ? Rien que pour lui, je vous mettrai le lien sur votre site, en français !
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