Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d’euradio.
Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management, à Angers. Bonjour, Albrecht !
Bonjour, Laurence !
Cette semaine, nous avons l’occasion de rappeler que les sommets bilatéraux institutionnalisés ne produisent pas que des photos de famille rituelles mais peuvent avoir des conséquences bénéfiques sur le long terme.
Eh oui, l’un des effets secondaires des rencontres inscrites dans un traité et ayant donc lieu à des intervalles réguliers, est que les dirigeant·es se sentent obligé·es d’avoir quelque chose à annoncer à l’issue de leurs échanges. Des annonces pas toujours suivies d’effets tangibles, mais parfois réalisées au bénéfice de tou·tes.
C’est particulièrement vrai pour les sommets franco-allemands, semestriels et sans interruption depuis le Traité de l’Elysée dont nous fêterons les 60 ans en janvier prochain.
Vous souvenez-vous de l’annonce faite à la sortie du sommet de Bonn, en novembre 1988 ?
Pas vraiment dans le détail, non. Elle portait sur quoi ?
Elle portait sur l’idée un peu farfelue d’une chaîne de télévision franco-allemande, à vocation européenne.
Ah, d’accord, vous voulez nous parler du trentième anniversaire d’ARTE que le chaîne a célébré il y a quelques jours ?
Exactement. En 1988, j’étais prof de langues débutant, et cela nous faisait doucement rigoler : « Marchera jamais », « trop compliqué », « y aura pas assez de sous ». Mais il y a eu ce groupe de travail mené par notre dynamique ministre-président du Bade-Wurtemberg, le Land où j’habitais, puis la négociation avec Jack Lang, éternel ministre de la culture, puis soudainement la panique de conclure un accord quand la réunification allemande s’est soudainement invitée sur l’agenda.
Pourquoi une « panique » ?
Parce que – fédéralisme oblige – le pauvre ministère de la culture français devait négocier avec les onze Länder qui composaient la République fédérale à l’époque et qui ont la prérogative dans le domaine culturel et audiovisuel. Avec la réunification, il y en aurait eu cinq de plus autour de la table, et c’est ainsi qu’on a signé à la hâte un traité pour créer cette nouvelle chaîne. Sans blague : cela s’est passé la veille même de la réunification du 3 octobre 1990 !
C’est cocasse ! De novembre 1988 à mai 1992, la création d’ARTE n’a donc finalement pris que trois ans et demi.
Oui, pas mal, pour un projet aussi biscornu, semé de tant d’embûches techniques, politiques, et bureaucratiques.
Et les débuts ont été, disons, tâtonnants. En France, la nouvelle chaîne s’est montrée innovante – avec ses soirées « Thema » notamment, plus tard avec l’invention des podcasts dès 2002, puis du « Replay » en 2007 – mais s’est aussi vite fait coller une étiquette « intello », voire « prise de tête », critiquée y compris dans ses propres murs. En Allemagne, elle était un peu perdue dans l’explosion des chaînes privées du câble et des satellites plus criardes les unes que les autres.
Mais trente ans plus tard, ARTE a franchement réussi son pari. Non seulement, on ne voudrait plus s’en passer – moi, en tout cas, je ne voudrais plus m’en passer – mais petit à petit, elle a quitté le cadre franco-allemand pour devenir européenne, diffusée en six langues dans un nombre d’Etats-membres grandissant. C’est rassurant : il y a donc une place pour une télé qui ne vende pas de publicité et ne soit par conséquent pas soumise à la dictature de l’audimat, une télé qui ne prend pas ses spectateur·ices pour des abruti·es potentiel·les auxquel·les il ne faut surtout pas servir de programmes exigeants, mais pour des citoyen·nes curieux·ses et ouvert·es d’esprit. Elle s’adresse peut-être à une minorité, mais toute démocratie digne de ce nom respecte ses minorités.
Mais ARTE est financé par la redevance, et celle-ci est désormais mise en question par le pouvoir lui-même. En tout cas, en France.
Elle est régulièrement attaquée en Allemagne aussi, rassurez-vous. Sujet qui vaudrait un édito à part entière. Mais pour ARTE, je ne me fais guère de soucis. L’un des avantages de ce type de traité inter-étatique compliqué à mettre en place et truffé d’arrangements délicats, c’est qu’une fois signés, ils développent une inertie terrible et ce n’est évident pour personne d’en sortir sans fracas.
D’une manière ou d’une autre, vu l’évolution du paysage médiatique audiovisuel, il y a tout intérêt à préserver des îlots comme ARTE. Et les dirigeant·es politiques semblent s’en rendre compte, sinon, ARTE n’aurait pas attiré l’intérêt d’autres services publics européens. Accordons-leur la présomption d’intelligence et de sensibilité pour les enjeux de la démocratie.
Cela les changera. Merci pour cet édito qui fait le lien avec celui de la semaine dernière, sur l’importance d’une information de qualité sur ses voisin·es. On souhaite un bon anniversaire à ARTE donc, et on vous retrouve la semaine prochaine.