Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Friedrich Merz est connu pour jouer pleinement son rôle en tant que « chancelier dans les affaires étrangères ». Mais aujourd’hui avec notre chroniqueuse Jeanette Süß, nous allons regarder quels sont les débats actuels sur le plan domestique, car il en manque pas. Bonjour Jeanette. Bonjour Laurence. Jeanette, quelles sont les réformes dont on discute actuellement en Allemagne ?
C’est ce que le gouvernement allemand appelle le « Herbst der Reformen », littéralement « l’automne des réformes ». C’est le nom donné par le chancelier Friedrich Merz à une série de transformations politiques et économiques annoncées pour l’automne 2025. Le gouvernement allemand y voit une période décisive pour moderniser l’État, relancer la croissance et réformer en profondeur le système social du pays. L’Allemagne se retrouve en récession depuis quelques années, ses infrastructures sont en partie défaillantes et leurs coûts pour l’état social en hausse.
Concrètement, le gouvernement prévoit un ensemble de réformes dans des domaines variés comme la réduction de la bureaucratie, la réforme du revenu de base appelé « Bürgergeld », la simplification des procédures administratives, ainsi que des ajustements dans la fiscalité et la politique énergétique. L’objectif affiché est de rendre le pays plus compétitif et le secteur public plus efficace.
Est-ce que ces mesures divisent les allemand·es ?
La formule de « l’automne des décisions » est en effet très débattue. Les syndicats et une grande partie de l’opposition parlent désormais d’un « automne des cruautés » pour dénoncer des politiques jugées antisociales et austéritaires. Ils reprochent au gouvernement Merz de vouloir réduire les dépenses publiques et de durcir le régime des allocations citoyennes, le Bürgergeld, c’est-à-dire le revenu de base, tout en évitant de taxer davantage les grandes fortunes.
La gauche parlementaire, notamment Die Linke, décrit ces réformes comme un démantèlement du modèle social allemand, tandis que les centristes critiquent le manque de vision globale et de moyens concrets. Le chancelier Friedrich Merz, lui, plaide pour des décisions « fondamentales et nécessaires » afin d’assurer la viabilité du système social et du modèle économique national.
Alors qu’en France, le gouvernement revient sur le maintien de la réforme de la retraite de 62 à 64 ans, en Allemagne une autre mesure va entrer en vigueur afin de flexibiliser davantage le système de retraite en Allemagne, Jeanette, de quoi s’agit-il ?
C’est la retraite active, la « Aktivrente », une initiative du gouvernement qui entrera en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2026. Elle permettra aux retraités ayant atteint l’âge légal de la retraite de continuer à travailler et de gagner jusqu’à 2 000 euros par mois, soit 24 000 euros par an, sans payer d’impôt sur ce revenu. L’objectif est d’encourager les seniors à rester actifs sur le marché du travail et pallier la pénurie de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs en tension comme la santé ou l’artisanat.
Ce dispositif ne s’applique toutefois qu’aux salariés soumis aux cotisations sociales ; les indépendants et les fonctionnaires, par exemple, en sont exclus. Le gouvernement souligne qu’il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une incitation à travailler plus longtemps en période de vieillissement démographique.
Et cette mesure est-elle une réponse équitable aux enjeux du vieillissement ?
La retraite active devait être le symbole d’une société plus flexible en permettant aux retraités de continuer à travailler tout en gagnant jusqu’à 2 000 euros par mois sans impôts. Mais très vite, les critiques se sont accumulées, venant à la fois des associations sociales et des organisations patronales.
A titre d’exemple, la présidente de la Caritas, dénonce une injustice générationnelle. Selon elle, les retraités bénéficieraient d’un privilège fiscal alors que les jeunes parents, eux, subissent la pleine progressivité de l’impôt à mesure que leurs revenus augmentent.
Le VdK, la principale fédération sociale en Allemagne, critique le fait que la majorité des seniors actifs – souvent des indépendants ou des travailleurs à temps partiel – ne profiteront même pas du dispositif, car ils sont déjà quasiment exonérés d’impôt.
Du côté patronal, on fait prévaloir que d’un côté, le gouvernement encourage le travail au-delà de l’âge légal, de l’autre, il maintient la retraite anticipée sans pénalité.
En outre, si beaucoup d’Allemands cessent de travailler à la retraite, ce n’est pas à cause du fisc, mais à cause de la santé, des conditions de travail, ou simplement du manque d’offres de la part des employeurs.
A quoi faut-il s'attendre pour la suite ?
On s’attend dorénavant à des manifestations organisées par les partenaires sociaux, confédérations sociales et la société civile engagée contre toutes ces mesures de réformes sociales mais on est loin de la contestation politique comme on a pu l'observer en France.
Il sera intéressant d’engager un dialogue franco-allemand sur l’efficacité des mesures pour faire avancer le dialogue sur une Europe sociale qui doit également rester compétitive.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.