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L'industrie automobile allemande : entre la Chine, les États-Unis et la transition électrique

Photo de Jonathan Gallegos sur Unsplash L'industrie automobile allemande : entre la Chine, les États-Unis et la transition électrique
Photo de Jonathan Gallegos sur Unsplash

Dans leurs chroniques sur euradioJeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.

Bonjour Marie, nous allons aujourd’hui parler du secteur automobile allemand, une industrie qui est à la peine. Nous allons essayer de comprendre pourquoi avec vous.

Tout d’abord pouvez-vous nous dresser un état des lieux de l’industrie automobile allemande ?

Oui, Laurence. Volkswagen, BMW et Mercedes figurent dans Top 10 des ventes de voitures particulières en Europe et au Top 5 des entreprises allemandes en termes de chiffre d’affaires. Ces entreprises et leurs fournisseurs et sous-traitants représentent 800 000 emplois directs en Allemagne. L’industrie automobile joue un rôle important pour la recherche et le développement du pays et l’effet de rayonnement concerne également les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le textile, l’acier et la chimie par exemple.

Ce sont cependant des entreprises qui sont malmenées par la concurrence chinoise, les droits de douane américains et le passage au véhicule électrique. A cela s’ajoute la pénurie de certains composants comme les semiconducteurs.

Fin 2024, Volkswagen avait par exemple annoncé la fermeture d’au moins trois usines avec le licenciement de dizaines de milliers d’emplois. Autre coup au moral des Allemands : en septembre 2025 Porsche (du Groupe Volkswagen) est sorti de l’indice boursier allemand DAX.

En ce moment c’est surtout l’affaire Nexperia qui fait parler d’elle. De quoi s’agit-il ?

En effet Laurence, Nexperia est une entreprise basée aux Pays-Bas et produisant des puces électroniques qui se trouvait sous contrôle du chinois Wingtech. Sur pression des Etats-Unis, les Pays-Bas ont décidé de reprendre le contrôle de l’entreprise. La Chine a réagi en restreignant la fourniture de puces. La fédération allemande représentant les intérêts de l’industrie automobile s’inquiétait des répercussions sur le secteur de l’automobile et de sa capacité de production.

Cela rappelle d’ailleurs la pénurie de semi-conducteurs pendant la crise covid, qui avait durement touché l’industrie automobile.

En réaction à la guerre commerciale sino-américaine dont l’Europe devient de plus en plus la victime collatérale, on assiste de la part des constructeurs automobiles à une régionalisation de la production. C’est-à-dire qu’on produit « en Chine pour la Chine » et aux Etats-Unis pour le marché américain. De fait, on assiste donc à un certain découplage pour éviter d’éventuelles perturbations des chaînes de valeur.

C’est aussi la fin de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 qui est discutée à l’échelle européenne. Où en est-on sur ce dossier ?

La pression sur ce dossier augmente car on craint pour la compétitivité du secteur automobile européen sur fond de réglementations environnementales que l’UE impose et alors que les Etats-Unis de Trump n’entendent pas reculer sur les énergies fossiles.

Antonio Filosa de Stellantis craint que l’Europe n’abandonne la technologie thermique dans laquelle l’Europe était leader au profit de l’électrique où il estime qu’à force de subventions d’Etat « la Chine a 15 ans d’avance ».

Dans ce contexte, le vice-président de la Commission européenne Stéphane Séjourné explique que la Commission européenne fera des annonces le 10 décembre sur la trajectoire à suivre de manière à concilier objectifs de compétitivité et objectifs de décarbonation.

Vous avez évoqué la concurrence chinoise. En quoi se rajoute-t-elle aux défis auxquels fait face l’industrie automobile allemande ?

En Chine on a vu apparaître ces dernières années des entreprises comme BYD, Xpeng, Nio et Li Auto.

Ces entreprises sont innovantes et agiles : elles se doivent d’être dynamiques dans un marché où la concurrence impose une cadence effrénée pour s’adapter le plus possible aux attentes des clients et aux évolutions du marché. Cela contraste avec leurs homologues allemandes dont le modèle s’essouffle et qui peinent à se réinventer.

Les droits de douane contre les véhicules électriques chinois devaient résulter en une baisse de part de marché des marques chinoises aux Etats-Unis et en Europe mais ils sont contournés par les constructeurs chinois.

Rappelons la décision de BYD de s’implanter en Hongrie, de Chery de s’implanter en Espagne et de CATL de s’implanter en Allemagne.

Dernière question : en quoi les droits de douanes de Donald Trump impactent-ils l’industrie automobile allemande ?

Fidèle au « America First », Donald Trump n’a que la réindustrialisation et la préservation de l’emploi manufacturier à la bouche. Il a donc mis en place des droits de douane pour inciter les entreprises à venir produire aux Etats-Unis.

Certaines entreprises comme Audi sont inquiètes car elles ne disposent pas d’usines de production aux Etats-Unis mais sont obligées d’importer depuis le Mexique et l’Europe. Audi estime que les droits de douane américains lui ont déjà coûté 850 millions d’euros. D’ici la fin de l’année cette somme pourrait avoisiner 1,3 milliards d’euros.

Les grands constructeurs allemands s’étaient rendus à la Maison Blanche en avril 2025 pour tenter de raisonner Donald Trump. Après l’accord de Turnberry entre Ursula von der Leyen et Donald Trump c’est finalement le soulagement qui prédomine car on a pu éviter des droits de douane de 30% initialement annoncés.

Il n’empêche que face à l’imprévisibilité trumpienne les constructeurs allemands lorgnent de plus en plus vers d’autres marchés comme l’Inde qui semble tout particulièrement prometteuse.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.