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Un chancelier de politique intérieure ? Les premiers pas du nouveau gouvernement allemand sous Friedrich Merz

© Wikimedia Commons - Michael Lucan (Licence CC BY-SA 3.0-de) Un chancelier de politique intérieure ? Les premiers pas du nouveau gouvernement allemand sous Friedrich Merz
© Wikimedia Commons - Michael Lucan (Licence CC BY-SA 3.0-de)

Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.

A peine trois semaines au pouvoir à Berlin, le nouveau chancelier Friedrich Merz de la CDU s’apprête à présenter une feuille de route concrète dans le cadre du premier « comité de coalition ». Jeannette, en Allemagne les choses sont toujours un peu différentes qu’en France. Pour commencer, expliquez-nous, qu'est-ce que le comité de coalition et sur quelles priorités s'est-il accordé ?

Le comité de coalition est un organe central du gouvernement fédéral allemand, réunissant les dirigeants des partis de la coalition – la CDU/CSU et le SPD – pour coordonner les initiatives politiques. Il sert de lien entre les partis, les groupes parlementaires et le gouvernement, déterminant la ligne directrice de la coalition et résolvant les questions controversées. Le 28 mai 2025, ce comité s'est réuni pour discuter des priorités majeures jusqu'à l'été, établissant ainsi une feuille de route concrète basée sur l'accord de coalition. Il a adopté un programme immédiat dans cinq domaines d'action : une offensive d'investissement, la simplification et l'accélération des procédures pour stimuler la puissance économique, des mesures pour un État plus sûr et plus efficace, des initiatives pour une nouvelle croissance économique, ainsi que pour renforcer la cohésion sociale et la démocratie.

Une priorité est la limitation de l’immigration irrégulière. Est-ce la fin du "Wir schaffen das" (l’adage d’Angela Merkel de 2015) ?

En quelque sorte, oui. Le ministre de l'Intérieur de la CSU, Alexander Dobrindt, a mis en place diverses mesures visant à réduire la migration irrégulière. Des contrôles frontaliers renforcés ont déjà été instaurés, suscitant des critiques de la part de certains voisins européens. Par exemple, le regroupement familial pour les personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire sera suspendu, davantage de pays seront désignés comme pays d'origine sûrs pour faciliter des décisions d'asile plus rapides et des retours, la naturalisation facilitée sera à nouveau restreinte, et les réfugiés ukrainiens recevront des prestations selon la loi sur les demandeurs d'asile au lieu du revenu citoyen. Ces mesures rencontrent déjà des critiques, notamment de la part de cercles humanitaires et dans les régions frontalières comme celle franco-allemande. L'ancienne chancelière Angela Merkel a exprimé des inquiétudes concernant les répercussions sur l'accord de Schengen et a mis en garde contre un affaiblissement de l'Europe.

Outre la politique migratoire, l'Allemagne est confrontée au défi de relancer son économie.

Effectivement, l'Allemagne traverse une période de stagnation économique. Après deux années consécutives de récession, les "sages économiques", un groupe consultatif du gouvernement, prévoient une stagnation du produit intérieur brut pour cette année. Les associations économiques dénoncent depuis longtemps des désavantages concurrentiels internationaux tels que des coûts énergétiques et fiscaux élevés, des procédures de planification et d'autorisation longues, ainsi que des charges sociales croissantes. Le programme se concentre donc sur des allègements fiscaux et la réduction de la bureaucratie. La coalition souhaite également accélérer les procédures d'autorisation et promouvoir les secteurs de haute technologie. Tout cela devrait se faire rapidement. "Nous voulons être une coalition des facilitateurs", a déclaré le président du SPD et vice-chancelier Lars Klingbeil. Cependant, il reste incertain de savoir dans quelle mesure ces allègements pourront être mis en œuvre d'ici l'été, car les réformes dans les domaines de la numérisation, de la réduction de la bureaucratie et des allègements ont souvent progressé lentement par le passé, en raison d'infrastructures obsolètes en Allemagne.

Le ‘programme d’action immédiat’ vise également à envoyer un signal politique intérieur pour contrer la montée en popularité de l'extrême droite AfD ?

Le chancelier fédéral Friedrich Merz doit démontrer ses compétences en politique intérieure. Au cours des premières semaines de son mandat, il a surtout montré qu'il était bien connecté sur le plan européen et international, comme en témoignent ses visites à Paris, Varsovie, dans le cadre du triangle de Weimar, et ses efforts pour une solution diplomatique au conflit en Ukraine, ainsi que sa gestion des relations avec Donald Trump. Cependant, se présenter uniquement comme un homme d'État ne suffit pas. La pression augmente pour fournir des solutions concrètes au niveau national – en matière de retraite, de migration ou de politique sociale. Bien que le premier comité de coalition sous Merz semble avoir été efficace, le défi reste de mettre en œuvre rapidement les réformes ambitieuses tout en préservant la cohésion sociale. Compte tenu de la complexité de la situation politique intérieure, il est crucial que Merz exerce son rôle de leader avec la même détermination sur le plan national qu'à l'international.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron