L'Europe et le monde

L'ambiguïté de Bruxelles sur la question de Taïwan

Lisanto 李奕良 sur Unsplash L'ambiguïté de Bruxelles sur la question de Taïwan
Lisanto 李奕良 sur Unsplash

 La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.  

Tu nous parles aujourd'hui des élections taïwanaises qui se sont tenues le week-end dernier. L'Union européenne a salué le bon déroulement des élections tout en rappelant sa préoccupation quant à la paix dans la région. Le nouveau président n'a pas été félicité. Pourquoi Bruxelles adopte cette position ambiguë ?

Le camp indépendantiste a remporté la présidentielle, ce qui est évidemment un revers pour la Chine communiste. La victoire de William Lai a été condamné par Beijing qui s'oppose à toute indépendance de Taiwan. Certains États ont félicité le nouveau président, tandis que d'autres restent prudents. Bruxelles a plutôt choisi la deuxième option pour ne pas fâcher la Chine continentale. Le communiqué de Josep Borrell, le Haut représentant pour les affaires étrangères, précise que l'Union européenne est préoccupée par les tensions dans le détroit de Taiwan. Bruxelles adopte les mêmes éléments de langage que les 27 dont certains sont plus amicaux envers Taiwan que d'autres, mais tous réticents à l'idée de froisser la Chine. L'Europe préfère soutenir le statu quo que de féliciter le nouveau président pour éviter tout conflit avec Beijing.

Mais ce statu quo veut-il dire que l'Union ne soutient pas Taiwan ? Non, l'Union européenne est un allié majeur de Taiwan. Un porte-parole de la Commission européenne a d'ailleurs déclaré que Bruxelles cherche toujours à développer ses relations avec Taipei. La victoire de William Lai ne devrait pas changer la relation qu'entretient Taiwan avec l'Union européenne. Lai était vice-président sous la mandature précédente et a régulièrement accueilli des représentants européens. L'année dernière, c'était presque 30 visites de parlementaires européens ou de délégations gouvernementales à Taiwan. Défendre le statu quo c'est soutenir l'autonomie de Taiwan sans pour autant fâcher la Chine.

Quel rôle joue le Parlement européen dans la relation de Taiwan avec Bruxelles ?

Le Parlement européen est souvent qualifié d'institution bienveillante envers Taiwan. Les eurodéputés condamnent depuis longtemps les coup de forces militaires de la Chine dans le détroit, comme lors de la première élection présidentielle à Taiwan en 1996. La dernière grande résolution sur cette relation a été adoptée l'année dernière et encourage l'approfondissement des liens entre Bruxelles et Taipei, notamment économiques. Mais alors qu'il y a un nombre croissant d'eurodéputés qui défendent Taiwan, les mesures concrètes restent en suspens. Ce traité bilatéral pour favoriser les échanges commerciaux par exemple, la Commission n'a pas pris acte de la résolution du parlement. La Commission préfère des mesures plus discrètes qui offrent le même résultat qu'un accord formel qui lui est plus symbolique mais irritera la Chine. Puis le soutien des eurodéputés ou des États à Taiwan s'arrête lorsque la Chine réagit par des mesures de rétorsion. Certains responsables politiques s'expriment fortement sur des sujets qui fâchent la Chine jusqu'à ce qu'un produit phare de leur État fasse l'objet de sanctions économiques sur ce marché.

Malgré certains obstacles, pourquoi l'Europe tend-t-elle à se rapprocher de Taiwan ?

Les raisons sont multiples, mais on peut en mentionner certaines. Tout d'abord, la diplomatie européenne collabore mieux avec la diplomatie taïwanaise que celle chinoise; cela a été particulièrement remarqué lors de la pandémie et depuis l'invasion de l'Ukraine. On se rappelle par exemple des propos de l'ambassadeur de Chine en France sur le Covid-19, des sanctions chinoises contre huit eurodéputés, ou du refus de condamner la guerre en Ukraine. Les diplomates chinois sont souvent qualifiés de loups guerriers car sont très offensifs et ne respectent pas toujours la bienséance diplomatique. Les diplomates taiwanais quant à eux mettent en valeur la culture taïwanaise, soignent leurs interventions dans la presse et plaident avec sourire pour leur cause.

Il existe aussi des raisons économiques ?

Tout à fait. Taiwan est un marché certes petit mais stratégique pour l'Union européenne. Les investissements européens sont abondants. De nombreuses industries européennes dépendent aussi des semi-conducteurs dont la majorité sont produits à Taiwan, surtout les plus avancés technologiquement.

Et Taiwan bénéficie d'une bonne image en Europe.

Oui, c'est une autre raison importante qui justifie le soutien dont bénéficie Taiwan en Europe. Taiwan est une jeune démocratie ouverte sur le monde qui contraste avec la Chine communiste. Elle bénéficie ainsi d'une image plutôt positive, surtout dans la presse. La guerre en Ukraine a renforcé ce soutien de l'opinion publique européenne pour Taiwan. Il est facile de faire un parallèle entre la Russie et l'Ukraine d'une part, et la Chine et Taiwan d'autre part. Mais malgré cette image et ce soutien dont bénéficie Taiwan, l'Europe reste prudente car la question de Taiwan est particulièrement sensible.