L'Europe et le monde

Turquie-UE : Stratégie ou compromission ?

Turquie-UE : Stratégie ou compromission ?

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.

Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et principal opposant du président Erdogan, a été incarcéré. Que s’est-il passé ?

Il a été arrêté le dimanche 23 mars. Officiellement, pour corruption. Officieusement, c’est une manœuvre politique. Il venait d’annoncer sa candidature à la présidentielle de 2028. Des dizaines de manifestations ont éclatés dans le pays. L’auteur c’est le président actuel, Recep Tayip Erdogan au pouvoir depuis 22 ans. Il a transformé la Turquie en un régime autoritaire où l’opposition est constamment réprimée et les libertés individuelles bafouées.

Comment l’UE a-t-elle réagi ?

Avec prudence. Quelques communiqués, aucun acte fort ni de la part de la Commission, ni celui du Conseil de l’Europe. Ankara reste un partenaire clé. L’UE ne veut pas rompre le dialogue.

Pourquoi la Turquie est-elle si importante pour l’Europe ?

La Turquie a la deuxième armée permanente de l’OTAN après les Etats-Unis. Grace à sa situation géographique stratégique, elle a également le monopole sur le détroit de Bosphore. Voie de navigation de commerce non négligeable, il assure l’accès de la mer Noire à la mer Méditerranée. Et puis le président Erdogan le médiateur phare dans le conflit russo-ukrainien.

D’ailleurs il vient d’annoncer de vouloir contribuer au financement de la politique de défense européenne…

Tout à fait. Au cours des dernières semaines, la Turquie a été de plus en plus impliquée dans les sommets européens sur la sécurité. Les hauts fonctionnaires ont clairement indiqué leur intérêt. Et ce, malgré l’approche « Achetez européen » de la France en matière de défense.

La Commission européenne a décidé d’ouvrir la porte à certains pays tiers, dont la Turquie, le Royaume-Uni et la Norvège en matière de défense. C’est une collaboration avec un tout nouveau programme de 150 milliards d’euros : Security action for Europe.

Dans le domaine militaire, la Turquie mise sur son industrie de défense pour renforcer ses liens avec l’Europe. Ses drones Bayraktar, utilisés en Ukraine et en Azerbaïdjan, sont déjà achetés par plusieurs pays européens, comme l’Espagne ou le Portugal. Ankara développe aussi un avion de chasse de cinquième génération, pour réduire sa dépendance aux F-16 américains.

Ce double jeu lui permet donc de faire oublier ses dérives ?

Oui. Il ne faut surtout pas oublier les ambitions expansionnistes du président Erdogan qui aimerait reconstituer le grand Empire Ottoman. On le voit en Méditerranée face à la Grèce et à Chypre, à l’est contre l’Arménie et au sud en Syrie. Et puis d’un côté, il réprime les civils turcs. De l’autre, il se présente comme un acteur essentiel à la stabilité régionale. Cette stratégie n’est pas nouvelle. En 2016, il avait monnayé la rétention des migrants syriens en échange de six milliards d’euros d’aides européennes. Depuis, il utilise ce levier régulièrement. À chaque critique de Bruxelles, il menace d’ouvrir ses frontières, provoquant des vagues migratoires vers l’Europe.

Aujourd’hui, il applique la même méthode avec la défense. Il sait que l’UE cherche à se détacher des États-Unis et en profite pour imposer ses conditions.

Et le contexte international renforce encore cette dépendance...

Exactement. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a changé la donne. Le président américain menace de se désintéresser de l’OTAN. L’UE doit prendre sa sécurité en main. Elle ne peut pas ignorer Ankara. L’Europe ferme donc les yeux, tandis que le régime turc devient de plus en plus autoritaire.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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