L'Europe et le monde

L’Europe, une puissance qui se joue en mer

L’Europe, une puissance qui se joue en mer

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.

Cette semaine s’est tenue la conférence des Nations Unis sur les océans. Est-ce que l’Europe a vraiment un rôle à jouer là-dedans ?

Oui, et même un rôle central. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’Europe est une grande puissance maritime. Elle possède, grâce à ses États membres et à leurs territoires ultramarins, la plus grande zone économique exclusive combinée au monde. On parle de plus de 20 millions de kilomètres carrés de mer. C’est gigantesque. Donc quand on parle d’océan, l’Europe est directement concernée. Et cette étendue lui donne des responsabilités, mais aussi une vraie capacité d’action stratégique.

Et cette puissance maritime, elle se traduit comment concrètement ?

C’est tout d’abord son industrie maritime qui est puissante : les trois leaders mondiaux du transport maritime sont européens. Son industrie navale possède la capacité de construire tous les types de navires de guerre et drones navals. Là aussi des entreprises de classe mondiale qui arment les grandes marines européennes et possèdent un savoir-faire apprécié à l’export. La mondialisation est avant tout maritime. L’Europe, entourée par la mer, doit faire de l’océan un pilier de son identité stratégique.

Est-ce que l’Europe est prête, justement, à défendre ces intérêts en mer, même militairement ?

C’est un des grands débats aujourd’hui. Militairement, l’Europe est encore dépendante des États-Unis via l’OTAN, malgré une récente prise de conscience. Mais tout de même, des opérations comme Atalante en 2008 contre la piraterie dans l’océan Indien montrent que l’Union européenne peut agir ensemble en mer. Il y a aussi des coopérations navales en Méditerranée et dans l’Atlantique. Ce qu’il manque, c’est une véritable stratégie navale commune, avec des moyens plus intégrés. Et c’est là que la ZEE européenne est un levier : en protégeant ensemble ce territoire maritime immense, l’Europe peut devenir une puissance navale de stabilisation, capable de peser face aux grandes puissances.

Et dans ce contexte, la conférence de l’ONU sur les océans, qu’est-ce que l’Europe y a proposé ?

Elle a été très active. Elle est venue avec une trentaine d’engagements. Réduire la pollution plastique, restaurer les écosystèmes maritimes, renouveler une flotte vieillissante ou encore lutter contre la pêche illégale. Ursula Von Der Leyen, a également annoncé un plan d'investissement d'un milliard d'euros, destinés à protéger les océans et à soutenir les communautés côtières et la pêche.

Mais l’un des plus forts, est le moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. C’est un signal fort, parce que certains pays comme la Chine et les Etats-Unis poussent pour exploiter ces zones riches en métaux rares. L’Europe, elle, dit : "on ne touche pas tant qu’on ne sait pas ce qu’on détruit". C’est aussi une manière de se positionner comme un leader de la transition écologique, sans renoncer à ses intérêts stratégiques.

Surveiller, intervenir… ça veut dire aussi investir dans la défense maritime ?

Tout à fait. Il y a une vraie prise de conscience stratégique. Les tensions en mer de Chine, les sabotages de câbles sous-marins, les pressions sur les détroits ou les zones arctiques, montrent que la mer est devenue un théâtre de conflit hybride. Et l’Europe ne peut pas rester spectatrice. On commence donc à voir émerger des projets de flotte européenne partagée, des patrouilles coordonnées, et une volonté d’avoir une présence navale crédible dans les zones sensibles. Ce n’est pas encore une marine européenne à proprement parler, mais c’est un pas vers plus d’autonomie stratégique.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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