"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina Ayata, il paraît que les scientifiques se rebellent ?
Oui ! Alors que le changement climatique et la crise de la biodiversité menacent de plus en plus nos écosystèmes, et donc nos sociétés, certains scientifiques ont décidé de se rebeller face à l’inaction qui nous entoure.
C’est-à-dire ?
En France par exemple, un collectif de scientifiques appelé « scientifiques en rébellion » a été créé en 2022. L’idée est que depuis des années les scientifiques communiquent et alertent sur l’état de notre planète et sur les risques que nous encourons si nous n’agissons pas collectivement, mais force est de constater que ça suffit pas… Le collectif « scientifiques en rébellion » s’est donc formé autour de 4 grands objectifs.
D’une part, il s’agit de continuer à alerter la société et les politiques sur la gravité des consensus scientifiques. D’autre part, il s’agit de dénoncer les manipulations et les contradictions, par exemple sur les pesticides ou encore le greenwashing. Le but est aussi d’instaurer une forme de rapport de force pour que des décisions collectives soient prises rapidement par les institutions ou les entreprises. Enfin, il s’agit également de réorienter l’enseignement supérieur et la recherche pour encourager une société pérenne et équitable.
Et concrètement, que font-ils ces « scientifiques rebelles » ?
Leurs actions se traduisent de différentes manières. Par exemple, ils publient des tribunes dans de grands médias nationaux, comme récemment sur les pesticides et la question agricole, ils participent à des manifestations et donnent des conférences de rue, comme récemment contre le projet d’autoroute A69, ils apportent aussi un argumentaire scientifique aux collectifs qui partagent leurs objectifs et leurs valeurs, ils peuvent par exemple être amenés à témoigner lors de procès.
Ils ont également rédigé une lettre ouverte au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, pour demander une clarification sur la participation de scientifique lors de campagnes polaires d’opportunité, comme avec les navires de croisière de luxe de la Compagnie du Ponant, ce qui a conduit le CNRS à saisir son comité d’éthique qui a ensuite rédiger un avis très clair sur le sujet. Mais leurs modes d’action incluent également des actions de désobéissance civile non-violente.
La désobéissance civile non-violente, qu’est-ce que c’est ?
C’est quand on désobéit aux règles et aux lois, mais sans violence. Par exemple, en avril 2022, des membres du collectif étaient restés dans la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) à Paris à l’heure de sa fermeture, et y avait donné des conférences « non invitées ». Suite à cette action, un procès a eu lieu mais les huit scientifiques et activistes incriminés ont finalement été relaxés en janvier 2024.
De manière générale, ces actions de désobéissance civile non-violente prennent la forme de blocages, d’occupations, d’affichage sauvage, ou de perturbation d’événements. Un membre de scientifique en rébellion est par exemple en procès actuellement pour avoir participé, avec le collectif international « Scientist rebellion », à des actions menées en Allemagne fin 2022, et en particulier pour s’être collé les mains à la glue sur une voiture dans un showroom du constructeur de voitures BMW, pour alerter sur l’urgence climatique.
Quelles ont été les autres actions de ce collectif ?
Fin 2022 toujours, des scientifiques en rebellions ont participé au blocage d’une dizaine d’aéroports d’affaires et ont manifesté devant le siège de Dassault Aviation pour dénoncer l’utilisation de jets privés hyper polluants par une poignée d’« ultrariches ». Ils ont aussi organisé une sorte de marche funèbre pour la biodiversité dans le Jardin des Plantes à Paris en mars 2023 pour dénoncer le rôle nocif des pesticides sur la biodiversité en particulier sur les insectes, que l’on n’entend presque plus au printemps.
Certaines de leurs actions ont également ciblé la banque BNP Paribas pour dénoncer le financement de nouveaux projets d’extraction d’énergie fossile, ou encore contre le projet de terminal gazier de TotalEnergie au Havre en mai 2023. Plus récemment, ils se sont investis contre le projet d’autoroute de l’A69. Ils étaient par exemple il y a peu (le 13 mars 2024) devant les locaux du groupe Pierre Fabre à Boulogne-Billancourt pour appeler au boycott de la marque Avène contre l'A69. Et puis fin 2023 ils avaient organisé une série de mini-COP alternatives partout en France, avec en particulier une mini-COP alternative citoyenne à Bordeaux, regroupant scientifiques, acteurs associatifs et citoyens concernés.
Mais est-ce que ça marche, ce type d’action ?
Les scientifiques en rébellions aiment à rappeler que certaines grandes causes ont été gagnées grâce à ce type d’actions de désobéissance civile, comme dans le cas des suffragettes et du vote des femmes, ou encore contre de l’apartheid. Que l’on soit d’accord ou pas avec ces modes d’actions, ce qui est sûr, c’est que l’urgence climatique et environnementale est bien là, et que ces actions non-violentes, portées par les scientifiques en rébellion, ont le mérite de faire parler de cette urgence, et donc potentiellement d’infléchir les choix des politiques et des industriels.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.