« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.
Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors, dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?
La Terre nous parle de l’indépendance de l’enseignement supérieur cette semaine. Une indépendance menacée par de grandes entreprises qui financent les grandes écoles françaises.
C’est-à-dire, que s’est-il passé ?
Ce scandale a pris de l’ampleur avec la publication le 17 septembre par le collectif Entreprises illégitimes dans l’enseignement supérieur d’une cartographie des « liens d’influence des entreprises privées dans l’enseignement supérieur ». EDF, BNP Paribas, Orange, Thales, Dassault, Safran ou encore TotalEnergies. Autant de noms que nous connaissons bien. Au total, 20 entreprises exercent une influence significative sur les grandes écoles françaises, dont 5 qui produisent des armes, 2 impliquées dans la chaîne du pétrole, 3 banques aux investissements carbonés et seulement 4 pas encore entachées par des scandales sociaux ou environnementaux ou condamnées par la justice.
Mais comment s’y prennent ces entreprises pour influencer l’enseignement supérieur ?
Eh bien, pour vous donner un exemple, chaque promotion de l’Ecole Polytechnique est systématiquement parrainée par le PDG d’une grande entreprise française qui se charge de la conférence de rentrée des étudiants. Environ une heure de roue libre pour distiller sa vision du monde professionnel. Les forums employeurs, visites d’entreprises et rencontres carrières sont autant d’autres occasions de visibiliser leur entreprise et d’influencer l’orientation professionnelle des étudiants. Ça, ce sont les stratégies d’influence directes. Pour lesquelles les grands groupes sont prêts à payer cher.
Et qu’en est-il des stratégies d’influence indirectes ?
Ces stratégies sont bien plus insidieuses et passent généralement par les financements du conseil d’administration, de la Fondation de la grande école en question ou encore par le réseau des anciens élèves. En clair, ce mécénat peut mener à une mise sous tutelle partielle de l’établissement via le financement de formations et de programmes de recherche.
Je comprends l’étendue du problème… Mais pourquoi la Terre a-t-elle tenu à nous en parler cette semaine ?
C’est « qu’aucune école de commerce ne va facilement former ses étudiants à la démondialisation en étant financée par des multinationales, et aucune école d’ingénieurs ne va imaginer un monde plus low tech en étant financée par des entreprises high-tech ». Je cite Jean-Marc Jancovici, ingénieur et ancien diplômé de Telecom Paris et Polytechnique. Pareil pour AgroParisTech, prestigieuse école d’agronomie dont la vie étudiante est financée en grande partie par l’agrobusiness. Comment envisager une carrière dans l’agroécologie dans un forum employeurs constitué principalement d’entreprises de l’agroalimentaire ? Il en est de même pour l’ensemble des Sciences Po qui entretiennent des liens avec des cabinets de conseil comme McKinsey, des groupes énergétiques et de défense. Il sera plus difficile pour ces étudiants d’envisager des politiques publiques environnementales s’ils n’y ont pas été formés.
N’y a-t-il pas de réactions de la part des universités ou des étudiants peut-être ?
Les grandes écoles tentent régulièrement de régler les affaires en interne sans froisser leurs partenaires privés. Par contre, du côté des étudiants, l’influence des grands groupes est de plus en plus critiquée. Le BDE d’AgroParisTech avait ainsi élaboré une charte éthique pour éviter de recevoir des financements de la part de l’agrobusiness, plusieurs étudiants de l’X avaient manifesté lors de la cérémonie de remise des diplômes de l’école…
Mais est-ce suffisant ?
Il ne faut pas se faire d’illusions, les grands groupes français demeurent un important débouché des grandes écoles. Rien ne sert de vouloir réduire artificiellement une réalité. Il s’agit d’en promouvoir une nouvelle. Repenser les enseignements, réinventer les compétences désirables et créer les métiers de demain, c’est un travail de déconstruction monumental. La question : sommes-nous prêts à le mener ?
Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.