Entendez-vous la Terre ?

Pollution environnementale : grande oubliée d'Octobre rose

Photo de Anna Tarazevich sur Pexels Pollution environnementale : grande oubliée d'Octobre rose
Photo de Anna Tarazevich sur Pexels

« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.

Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?

La Terre nous parle Octobre rose et pollutions environnementales. Alors que les feuilles d’automne se parent de mille reflets, le mois d’octobre s’habille en rose et de petits rubans s’accrochent aux boutonnières. Et ce depuis 1985, date de lancement de la première campagne Octobre rose aux Etats-Unis, qui s’est ensuite rapidement mondialisée. L’objectif : sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein et récolter des fonds pour la recherche.

J’imagine qu’il n’y a pas besoin de démontrer l’importance de cette campagne.

Effectivement, chaque année, 12 000 femmes meurent et 60 000 reçoivent un diagnostic de cancer du sein. Ce qui en fait la première cause de décès par cancer chez la femme selon Santé publique France.

Ces chiffres parlent effectivement d’eux-mêmes. Et qu’en est-il des facteurs de risque de cette maladie ?

Tout d’abord, 10% de ces cancers sont considérés comme étant d’origine génétique. Le tabagisme, l’alcoolisme, le surpoids et la sédentarité sont les comportements individuels problématiques les plus fréquemment mentionnés. Et c’est bien là que réside tout le problème de la campagne Octobre rose.

C’est-à-dire ?

Eh bien, cette campagne fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part du collectif Cancer Colère, fondé par Fleur Breteau. Au micro de Reporterre, une militante de ce collectif expliquait que la campagne d’Octobre rose « regorge d’angles morts. Elle multiplie les injonctions culpabilisatrices, notamment à la féminité, et met uniquement l’accent sur les comportements individuels. Pas un mot n’est consacré aux causes structurelles du cancer. »

Mais alors, quelles sont-elles, ces causes structurelles ?

Nous les connaissons déjà, ce sont les pollutions environnementales, pesticides, PFAS et autres perturbateurs endocriniens. Précisément ce que la campagne d’Octobre rose, à force d’injonctions à la responsabilisation individuelle, nous fait oublier. Ainsi, seulement un tiers des cancers du sein sont dits « évitables ». Si on fait un peu de calcul mental, entre les 10% de cancers d’origine génétique et les 30% des comportements individuels, le compte n’y est pas. Il y aurait donc entre 55 et 60% de cancers d’origine environnementale. C’est un chiffre gigantesque ! Qui explique la recrudescence des cas de cancers observés chez les moins de 50 ans. Selon l’Inserm, il y a une présomption forte entre l’apparition de cancers et l’exposition aux pesticides en milieu professionnel, pendant l’enfance ou la grossesse. Alors voilà, on comprend maintenant que ce soit dur pour une femme relativement active, n’ayant jamais fumé, ni bu, de s’entendre dire pendant Octobre rose qu’il faut qu’elle se prenne en charge. D’autant qu’au cours de mes recherches, je suis tombée sur une information qui m’a interrogée…

Qu’avez-vous donc trouvé ?

Il s’agit des fondateurs de la campagne Octobre rose : l’un d’eux n’est autre que la société britannique Imperial Chemical Industries, entreprise autrefois spécialisée dans la fabrication de produits chimiques et insecticides mais également de produits pharmaceutiques, notamment d’un médicament contre le cancer du sein. Jusqu’à ce qu’il sépare ses activités pharmaceutiques au sein d’AstraZeneca, groupe pharmaceutique rendu célèbre par la période Covid. Et en creusant davantage, on s’aperçoit que ce n’est pas un cas isolé puisque Bayer, géant industriel qui détient Monsanto et la fabrique du célèbre glyphosate, fabrique également le Larotrectinib, un médicament utilisé notamment pour traiter le cancer de la thyroïde. Comment inventer à la fois le problème et sa solution !

Cela semble effectivement plus que contre-intuitif…

Alors on pourrait éventuellement se dire que développer une expertise en chimie peut s’avérer utile dans le domaine de la pharmaceutique mais cette pratique pose sérieusement question en matière de séparation des intérêts. Ce qui rejoint certaines critiques d’Octobre rose. Cancer Colère affirme que la campagne est victime de « pinkwashing » et instrumentalisée comme argument marketing par certains Etats et entreprises qui continuent à faire l’autruche.

Et qu’en est-il de la réglementation en matière de pesticides ?

Eh bien, elle se révèle largement insuffisante, voire en régression, que ce soit du côté de la Directive européenne de 2009 sur l’utilisation des pesticides ou de la très décriée loi Duplomb en France. Et on peut sérieusement douter de la volonté du monde politique de réguler les intérêts privés en la matière quand une femme en rémission de chimiothérapie reçoit une boîte de cosmétiques offerts par L’Oréal. Alors même que ces produits contiennent pour la plupart des produits chimiques perfluorés potentiellement cancérogènes… On voit bien que l’ironie du profit n’a pas de fin.

Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.