Entendez-vous la Terre ?

Ecocides et conflits armés

Photo de NOAA sur Unsplash Ecocides et conflits armés
Photo de NOAA sur Unsplash

« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.

Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?

La Terre nous parle de guerres et de leurs conséquences oubliées cette semaine. Il faut dire que les conflits armés sont définitivement un contexte où les hommes ne se soucient guère de l’environnement. Et pourtant, la nature et les écosystèmes comptent souvent parmi les dégâts collatéraux.

Quels sont donc les conséquences des guerres sur l’environnement ?

Elles sont nombreuses, bien que relativement invisibilisées à cause du manque de travaux scientifiques dans ce domaine. Cela va de la perte de biodiversité, de la destruction des écosystèmes, aux pollutions de l’eau, de l’air et des sols. Selon Adrien Estève, chercheur au CNRS et à l’Institut de recherche stratégie de l’Ecole Militaire, « il a une pollution aux métaux lourds des sols et nappes phréatiques due à la dégradation des munitions qui contiennent du plomb, du mercure (…) dans le nord de la France et en Belgique par exemple. » A noter qu’il parlait là des conséquences actuelles de munitions déversées durant la Première guerre mondiale, il y a donc plus de 100 ans.

Effectivement, les conséquences des guerres s’observent sur du long terme… Et qu’en est-il de l’agent orange utilisé au Vietnam par l’armée américaine ?

C’est un excellent parallèle ! Cet herbicide ultratoxique a détruit toutes les forêts sur 20% du sud du Vietnam et continue encore de répandre son venin dans le pays à l’heure actuelle. Que ce soit via des munitions abandonnées au fond des océans ou sur terre, des produits chimiques ou encore certaines attaques sur des infrastructures énergétiques ou industrielles comme la centrale de Zaporijia au cours du conflit russo-ukrainien ou les fuites de méthane suite à l’explosion du gazoduc Nord Stream dans la mer Baltique, la nature est une victime muette. Moins de 2 ans après le début de la guerre, c’est près de 6 fois la superficie de Paris en forêts qui a été ravagée par des incendies d’origine militaire en Ukraine, dont un tiers de zones naturelles protégées.

C’est-à-dire ?

Effectivement, les activités de défense dépendent considérablement des énergies fossiles et contribuent donc au dérèglement climatique. Il y a peu de données sur le sujet mais une étude de l’université Brown estime que l’armée américaine avait émis annuellement plus de gaz à effet de serre que la Suède en 2017. Et on dirait bien que ce cycle n’est pas près de ralentir puisque la priorité de nombreux Etats semble se recentrer sur les enjeux sécuritaires. En témoigne la nouvelle stratégie européenne pour l’industrie de défense.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur cette stratégie ?

Eh bien, cette stratégie vise à orienter les investissements vers l’industrie de l’armement pour développer des moyens militaires communs et aboutir à terme à la création d’une armée européenne, ou tout du moins à la coordination de troupes des différents Etats membres. Cette mise en avant de la défense et de la sécurité stratégique de l’Union dans les priorités de la nouvelle Commission Von der Leyen est dans l’air du temps depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alors que le Pacte vert l’est un peu moins.

Mais pourquoi ces deux thématiques semblent-elles si peu conciliables ?

Avant toute chose, il est essentiel de comprendre le schéma de pensée du monde militaire qui considère les enjeux sous un prisme pragmatique. Ainsi, selon Adrien Estève, les armées « ne consentiraient à faire des efforts écologiques qui si elles y trouvent des intérêts stratégiques. » Ainsi, la principale raison pour laquelle l’armée américaine a commencé à s’intéresser à la question climatique dans les années 1990 peut être résumée en une phrase : parce qu’elle pourrait amplifier les risques de tensions géopolitiques, de conflits et de migrations. Et non pas pour éviter de potentiels écocides ni protéger le Grand hamster d’Alsace.

N’y a-t-il pas un moyen pour que l’armée prenne davantage en considération la protection de l’environnement et le dérèglement climatique ?

Il y a déjà eu des tentatives de prise en compte, de compensation carbone, ou d’utilisation de carburants plus écologiques… Mais quand une guerre éclate, la menace du dérèglement climatique a beau être bien réelle et urgente, l’environnement passe au second plan. A tort ou à raison, le débat reste ouvert, mais il y a sûrement une raison pour laquelle la majorité des partis écologistes tirent leur source de mouvements pacifistes. Car la fin de la guerre n’est rien d’autre que la concentration sur d’autres champs de bataille. Mais ça, la Terre nous en parlera la semaine prochaine !

Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.