Entendez-vous la Terre ?

Capture du carbone : fausse bonne idée ?

Photo de Mudit Agarwal sur Unsplash Capture du carbone : fausse bonne idée ?
Photo de Mudit Agarwal sur Unsplash

« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.

Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?

La Terre nous parle géo-ingénierie climatique et technosolutionnisme cette semaine. Mais alors, qu’est-ce que la géo-ingénierie me direz-vous Laurence ? Eh bien, c’est un ensemble de techniques développées pour modifier le climat de la Terre et ainsi limiter le réchauffement global.

Comment ça modifier ? Est-ce réellement possible ?

Selon la géo-ingénierie, c’est envisageable. Au moins pour limiter le réchauffement. L’Académie des sciences française a publié un rapport le 2 octobre qui fait un état des lieux des avancées et perspectives de ces techniques. Il en existe principalement trois : la modification du rayonnement solaire qui consiste à réfléchir un part de l’énergie solaire vers l’espace via l’injection d’aérosols dans la stratosphère ou la généralisation des toitures blanches. On compte également l’élimination du dioxyde de carbone en mobilisant des puits de carbone naturels ou des procédés industriels. Et enfin, les méthodes de captage, de stockage et de valorisation du CO2, que ce soit dans l’air ou dans l’océan via la culture d’algues à grande échelle, l’utilisation de procédés électrochimiques ou l’ajout de minéraux alcalins.

Et quel est le verdict de l’Académie des sciences sur ces procédés ?

L’ensemble de ces techniques ont pour avantage leur rapidité pour refroidir la Terre mais elles ne sont selon l’Académie qu’un « leurre climatique et non un investissement d’avenir ». Il convient évidemment de distinguer certaines solutions réellement envisageables, comme peindre son toit en blanc ou développer les puits de carbone, des autres technologies de géo-ingénierie. Concernant ces dernières, les académiciens alertent notamment sur les incertitudes scientifiques relatives à leurs conséquences environnementales potentielles. On pourrait même dire probables. D’où leur appel à mener prioritairement des changements structurels pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre plutôt que d’envisager des alternatives qui n’en sont pas. Et pourtant, le captage du carbone continue d’avoir le vent en poupe…

Mais pourquoi donc s’il suscite autant d’incertitudes de la part des experts ?

C’est-à-dire que les experts n’ont pas l’air entièrement alignés sur la question. Le stockage carbone, aussi appelé Carbon Capture, Utilisation and Storage, s’est ainsi invité à la table des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à partir de 2005 jusqu’à s’arroger une place de choix dans le 6ème rapport du groupe.

Mais alors, comment expliquer cette divergence ?

Tout simplement par un lobbying constant de la part des acteurs des énergies fossiles qui ont intérêt à retarder toute véritable action selon la climatologue Valérie Masson-Delmotte, membre de l’Académie des sciences. Ce n’est pas un hasard si TotalEnergies développe des technologies de capture et stockage du carbone depuis 20 ans : cela s’appelle faire du changement climatique une nouvelle opportunité de profit. Le problème : c’est que les groupes d’intérêts toquent aussi aux portes des politiques.

C’est-à-dire ? Chez qui ont-ils toqué ?

Il semblerait qu’ils aient toqué directement auprès de la Commission européenne. Bien qu’elle demeure sceptique sur la modification du rayonnement solaire, elle s’est montrée bien plus volontariste sur la capture du carbone. Qui a notamment été mentionnée comme option stratégique clef pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et a fait l’objet d’une directive en 2009 et d’un nouveau règlement en 2024. De son côté, la France a également lancé des études pour estimer le potentiel de stockage de son territoire.

Il semble donc que cette technologie ait de belles heures devant elle…

C’est exact. S’il y a une chose dont les humains ne manquent pas face au changement climatique, c’est d’inventivité pour préserver l’existant sans remettre en question le modèle. Mais à trop vouloir jouer aux apprentis sorciers, on finira peut-être par s’en mordre les doigts.

Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.