Surréalisantes

Surréalisantes #3 - Meret Oppenheim

@Swipe/Unsplash Surréalisantes #3 - Meret Oppenheim
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Ce que l’Histoire a moins retenu c’est la place inédite qu’ont occupé les femmes au sein du mouvement surréaliste. Pourtant, elles sont des centaines : peintres, sculptrices, poètes à s’être taillé une place loin du rôle de la muse. Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait de l'une d’entre-elles. 

De quelle surréalisante allez-vous nous parler ce matin ?

La chronique d’aujourd’hui est consacrée à Monsieur Oppenheim. Non, vous ne rêvez pas, ma langue n’a pas fourché car « Monsieur Oppenheim » est l’artiste à qui des critiques d’art parisiens ont attribué dans des articles en 1936, la révolutionnaire sculpture Le Déjeuner en fourrure dont parle toute la capitale. Vous l’avez peut-être compris, ces derniers ont eu du mal à intégrer que cette œuvre, une soucoupe et une petite cuillère improbablement recouvertes de fourrure de gazelle chinoise camouflant la céramique, qui est devenue dès sa création un emblème fétiche du surréalisme, soit celle d’une femme allemande et suisse : Meret Oppenheim.

Retenez son nom. Meret naît le 6 octobre 1913 à Berlin dans le quartier de Charlottenburg, d’un père allemand et d’une mère suisse. Très tôt attirée par les arts, elle quitte précocement l’école à 17 ans pour apprendre la peinture. Dès cette époque, elle montre un intérêt pour le détournement des formes, les renversements de la logique, le travail plastique dérangeant. En 1932, à 21 ans, elle part à Paris où les avant-gardes et particulièrement le surréalisme vivent leur âge d’or.

À l’Académie de la Grande-Chaumière dans le quartier de Montparnasse, dirigée par le couple de suissesses peintres Martha Stettler et Alice Dannenberg, elle fait la rencontre de Jean Arp et Giacometti qui gravitent autour des surréalistes. Ils l’invitent à exposer ses objets détournés au Salon des surindépendants et c’est là qu’arrive une rencontre déterminante : celle avec André Breton et Max Ernst. D’ailleurs, si vous ne connaissez pas Meret Oppenheim pour ses œuvres, vous avez très probablement déjà vu des clichés très célèbres d’elle… Si je vous dit : « nu », « rouages » et « cambouis » ?

Oui ça me dit peut-être quelque chose…

En 1933, dans une photographie d’une série emblématique baptisée « Érotique-voilée », elle pose entièrement nue devant la caméra de Man Ray au milieu des rouages d’une imprimerie, la paume de la main gauche tournée vers l’objectif, tâchée d’une encre noire comme du cambouis... Un peu malgré-elle, elle devient le visage de tout un imaginaire surréaliste du désir. Difficile d’ailleurs de ne pas voir un clin d’œil dans ce passage devenu célèbre de L’Amour fou d’André Breton publié en 1937 : « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas ».

Mais loin de s’enfermer dans le seul rôle de muse et de modèle, la jeune Meret, est l’une des premières femmes à se faire une place de choix dans le groupe parisien… et au-delà. Son déjà culte Déjeuner en fourrure, est acheté en 1936 par le directeur du Musée d’Art Moderne de New York, Alfred Barr. Libre et émancipée, elle s’approprie les thématiques de l’érotisme et du corps féminin, avec par exemple sa pièce Ma Gouvernante, créée en 1936 : des souliers de femme, ficelés et disposés sur un plat comme un poulet rôti. Sauf qu’en 1937 à seulement 24 ans, installée à Bâle, elle traverse soudainement une crise existentielle d’ampleur.

Prise de doute et du sentiment permanent d’être, selon elle, « en quarantaine », elle détruit plusieurs de ses œuvres et cesse entièrement de créer durant 17 longues années. Que s’est-il passé ? La guerre, déjà, sans doute qui a fracturé le groupe surréaliste où elle avait de très bons amis. Mais si les raisons de cette disparition temporaire demeurent mystérieuses, son retour en 1954 ne pourrait sembler plus naturel. Deux ans plus tard, elle dessine les masques et costumes de la pièce de Picasso Le Désir attrapé par la queue mise en scène par Daniel Spoerri.

À cette période de renaissance artistique, Meret Oppenheim renoue avec la création d’objets détournés, cette fois-ci, parfois dans des dimensions plus exubérantes. Elle imagine par exemple une installation appelée Le Festin, un buffet dressé sur le corps d’une femme nue au visage doré. Ses thèmes de prédilection, la peau, l’animalité, la nourriture et la sexualité se retrouvent tissés de bout en bout de sa carrière pourtant hachurée, jusqu’à sa disparition en 1985 à 72 ans d’une crise cardiaque.

Et comme un clin d’œil à cette femme et artiste anticonformiste, un prix « Meret-Oppenheim » est attribué chaque année depuis 2001 à des artistes seniors – entendez plus de 40 ans –, l’âge qu’elle avait quand elle a décidé de retourner à la création.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.