Composer comme compositrices et compositeurs, ces musiques inspirées par l'Europe mais aussi ces compositions qui forment une culture européenne. À retrouver sur euradio le samedi. Par David Guérin-Marthe.
La semaine dernière, nous avons parlé des inspirations du compositeur Frederick Delius. Vous souhaitez nous parler aujourd’hui de son entourage.
Delius a toujours été entouré d’artistes. À Paris et dans la région de Fontainebleau, il a rencontré de nombreux peintres et sculpteurs, comme Paul Gauguin ou Auguste Rodin. À part Grieg, il avait assez peu d’amis compositeurs. Il a très peu fréquenté les musiciens français. Sa musique a donc été très peu jouée en France de son vivant, ce qui explique notamment pourquoi il reste assez peu connu chez nous aujourd’hui.
Delius a donc connu la vie parisienne de la fin du XIXe siècle. Une période d’abord très vive, très inspirante. Certaines de ses œuvres les plus connues ont été composées à cette époque. Mais c’est également à Paris qu’il attrape la syphilis. Sa santé se détériore à partir de 1925. Il est alors presque complètement aveugle, ses jambes sont paralysées.
A-t-il pu continuer à composer malgré la maladie ?
Seul, il n’aurait pas pu. Pendant quelques années, il ne compose rien. Mais heureusement pour lui et pour nous, un jeune compositeur anglais, Eric Fenby, s’est proposé comme copiste. Delius a évidemment accepté cette aide inespérée. Après plusieurs échecs, Delius et Fenby ont trouvé une méthode de travail unique. D’abord, Delius imaginait la musique et son orchestration dans sa tête. Toujours mentalement, il visualisait une page de la partition qu’il dictait ensuite à Fenby. Ils ont travaillé ainsi sur une petite dizaine de pièces orchestrales pendant les six dernières années de la vie de Delius.
Ce projet est très éprouvant pour Fenby. Delius n’est pas toujours facile à vivre. Avec l'aggravation de son état de santé, Fenby devient parfois son aide-soignant. Il écrira plus tard que cette expérience l’a laissé « complètement brûlé. »
Une autre personne s’est également sacrifiée pour l'œuvre de Delius.
Oui, il s’agit de sa femme, Jelka Rosen. Elle était peintre, comme sa mère. Son grand-père, Ignaz Moscheles, dont on parlera la semaine prochaine, était compositeur. Tout comme Fenby, Jelka s’est longtemps occupée de son mari, elle lui est toujours restée dévouée. Elle en a délaissé son propre travail artistique pour permettre à Delius de continuer le sien.
Je vous propose d’écouter Dans un jardin d’été, une pièce dédiée à Jelka Rosen. C’est une œuvre pour orchestre symphonique, composée en 1908 puis révisée trois ans plus tard. Delius a laissé quelques mots en préface de la partition. Le compositeur décrit très précisément ce que sa musique exprime. On y sent toute l’influence qu’ont pu avoir sa femme et ses amis peintres. Je vous lis cette préface : « Des roses, des lys, et un millier de fleurs au doux parfum. Des papillons brillants voletant de pétales en pétales, et des abeilles aux couleurs marron et or bourdonnant dans l’air chaud et frissonnant de l’été. À l’ombre de vieux arbres coule une rivière calme avec des nénuphars. Sur une barque, presque cachées, deux personnes. Une grive chante dans le lointain. »
Nous écoutons donc un extrait de In a Summer Garden, interprété par l’Orchestre de l’Opéra National du Pays de Galles.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.