L'Europe, un écrin de droits

Un revers juridique pour Orban et son projet nucléaire

Photo de Maximalfocus sur Unsplash Un revers juridique pour Orban et son projet nucléaire
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Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.

La Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, a rendu le 11 septembre 2025 une décision qui a fait pas mal de bruit. Elle a annulé l’autorisation que la Commission européenne avait donné à un projet nucléaire hongrois confié à la Russie. Un projet énorme, à plus de 12 milliards d’euros, qui met aujourd’hui Budapest dans l’embarras.

De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit du projet “Paks II”, au sud de la Hongrie. En 2014, le gouvernement de Viktor Orbán a confié directement à l’entreprise publique russe Rosatom la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires. Pas d’appel d’offres, pas de concurrence. La Russie devait prêter dix milliards d’euros pour financer l’essentiel du chantier, sur un coût total de 12,5 milliards. L’idée du gouvernement était de sécuriser l’approvisionnement énergétique de la Hongrie tout en affirmant une position stratégique entre l’Est et l’Ouest, mais le choix de la Russie a immédiatement suscité des critiques, notamment de la part de l’Autriche, qui voyait d’un très mauvais œil la proximité de la centrale.

Et pourquoi la Cour de justice s’en mêle aujourd’hui ?

Parce que la Commission européenne, en 2017, avait validé ce financement public. Mais l’Autriche a contesté cette décision devant la justice européenne. Selon la Cour, Bruxelles aurait dû vérifier si l’attribution directe à Rosatom respectait les règles européennes sur les marchés publics, avec transparence et mise en concurrence. Comme ce n’était pas fait, le feu vert de la Commission est annulé.

Concrètement, qu’est-ce que ça change pour la Hongrie et le chantier de Paks ?

Le projet est suspendu juridiquement. La Hongrie ne peut plus utiliser de fonds publics tant que la Commission n’a pas réexaminé le dossier. Et si Bruxelles conclut que les règles ont été enfreintes, une partie de l’argent déjà versé pourrait devoir être remboursée.
C’est donc un vrai coup d’arrêt, même si le gouvernement hongrois assure que le chantier peut continuer selon le calendrier prévu.

Pourquoi cette affaire est-elle aussi sensible politiquement ?

Parce qu’elle touche à la stratégie énergétique et géopolitique de la Hongrie. Viktor Orban a longtemps joué la carte “pivot Est-Ouest”, en se rapprochant de Moscou et même de Pékin, tout en restant membre de l’UE. Ce projet nucléaire symbolise ce choix. La Cour rappelle que, même dans ce contexte, les règles européennes s’appliquent : pas de marché direct avec une entreprise russe sans contrôle et transparence. Et ça tombe au moment où l’UE cherche à réduire sa dépendance énergétique à la Russie.

Et au-delà de la Hongrie, quelles leçons peut-on tirer de cette décision ?

Plusieurs leçons. D’abord, la Commission doit mieux contrôler toutes les aides publiques et vérifier que les marchés stratégiques respectent les règles de l’Union. Ensuite, c’est un rappel pour tous les États membres : aucun projet, même très important politiquement ou économiquement, ne peut contourner les règles européennes. Et enfin, c’est aussi un signal fort sur la cohérence de l’Europe : la politique énergétique et la politique étrangère doivent aller de pair, surtout quand il s’agit de relations avec la Russie.

Est-ce que cette affaire pourrait avoir un impact sur d’autres projets européens ?

La Cour de justice ne dit pas que la Hongrie ne peut pas construire de réacteurs nucléaires. Elle dit simplement : pas comme ça. Pas sans appel d’offres, pas sans respecter les règles européennes. C’est un rappel clair que l’État de droit prime, même sur des projets ambitieux. Paks II est donc suspendu, et cette affaire montre une fois de plus que la justice européenne peut peser lourdement sur les décisions politiques et économiques des États membres, garantissant que les règles communes sont respectées.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.