Chaque semaine, Alice Collin, avocate au Barreau de Bruxelles, décode les arrêts qui influencent directement nos vies, en expliquant simplement leurs enjeux juridiques et leurs impacts concrets.
Depuis 2019, l'Union européenne a renforcé la régulation des gazoducs, y compris ceux qui relient des pays tiers à son marché intérieur. Ces règles ont suscité des tensions, notamment autour du gazoduc Nord Stream 2, un projet controversé porté par Gazprom, la société énergétique publique russe. Récemment, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rejeté une plainte déposée par Nord Stream 2 contre ces règles. Pourquoi Nord Stream 2 a-t-il contesté la réglementation de l’UE devant la CJUE ?
L’affaire Nord Stream 2 concerne un gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, conçu pour transporter d’importantes quantités de gaz naturel. En 2019, l’Union européenne a modifié sa directive sur le gaz pour inclure les pipelines en provenance de pays tiers, comme Nord Stream 2, dans ses régulations. Ces règles imposent notamment la séparation entre les propriétaires des infrastructures et les fournisseurs de gaz, pour garantir une concurrence équitable et une meilleure transparence. Nord Stream 2 a contesté ces règles, arguant qu’elles étaient appliquées rétroactivement et violaient certains principes juridiques. Mais la Cour a rejeté cette contestation.
Pourquoi la Cour de justice a-t-elle rejeté cette plainte ?
La Cour a jugé que Nord Stream 2 ne pouvait pas invoquer un droit à l'exemption. Elle a souligné que, dès le début des discussions sur cette directive en 2017, la société aurait dû anticiper l’extension des règles européennes aux pipelines venant de pays tiers. En substance, elle a estimé que Nord Stream 2 a pris un risque en poursuivant ses investissements sans garantie juridique sur l'issue de ces modifications réglementaires.
Quelles sont les implications pratiques de cette décision ?
En pratique, cette décision conforte l'application uniforme des règles européennes sur le marché de l’énergie. Cela signifie que les gazoducs comme Nord Stream 2 doivent être accessibles à des fournisseurs tiers et respecter les normes européennes, même s'ils viennent d’un pays non-membre. Pour Nord Stream 2, déjà mis à l’arrêt après l’invasion de l’Ukraine en 2022, cette décision reste symbolique mais renforce l’idée que l’Europe ne dépendra plus exclusivement d’un seul acteur, en l'occurrence la Russie.
Peut-on dire que cette affaire illustre un changement stratégique pour l'Europe ?
Tout à fait. Cette décision s’inscrit dans une démarche plus large de l'Union européenne pour garantir sa sécurité énergétique et réduire sa dépendance au gaz russe. Les événements récents, comme l’arrêt du projet Nord Stream 2 ou les sabotages des gazoducs en 2022, ont accéléré cette prise de conscience. Aujourd’hui, l’UE investit massivement dans des alternatives comme le gaz naturel liquéfié (GNL) et les énergies renouvelables. Cette affaire montre aussi comment l'Union utilise le droit pour renforcer son autonomie stratégique face à des acteurs extérieurs.
En conclusion, que nous enseigne cette affaire sur le rôle de la Cour de justice de l’UE ?
Cette affaire montre que la Cour joue un rôle clé dans l’arbitrage entre intérêts économiques, juridiques et politiques. Elle agit comme un gardien des règles européennes, même face à des projets d’ampleur internationale. Cela envoie un message clair : toute entreprise opérant dans l’UE doit se conformer aux lois européennes, même si elle est issue d’un pays tiers. La Cour contribue ainsi à garantir que les principes fondamentaux de l’Union, comme la concurrence loyale et la sécurité d’approvisionnement, restent au cœur de ses politiques.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.