Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Le 5 février, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé une amende de 320 millions d’euros infligée à la Pologne. Quelle est l’origine de cette sanction ?
Tout remonte à une réforme judiciaire adoptée par le gouvernement polonais de l'époque, dirigé par le parti Droit et Justice (PiS). Cette réforme instaurait une chambre disciplinaire au sein de la Cour suprême polonaise, permettant de sanctionner les juges en fonction de leurs décisions. La Commission européenne considérait que cette mesure portait atteinte à l'indépendance de la justice, un principe fondamental de l'État de droit en Europe. En 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a ordonné à la Pologne de suspendre cette chambre, ce que Varsovie n'a pas fait. Face à ce refus, l'UE a imposé des amendes d'un million d'euros par jour, réduites ensuite à 500 000 euros.
La Pologne a-t-elle tenté de régler le problème avant d'être sanctionnée ?
En partie, oui. En juin 2022, une nouvelle loi a été adoptée pour remplacer la chambre disciplinaire, mais elle ne respectait pas complètement les exigences de la Cour de justice de l'UE. C'est pourquoi les amendes ont continué jusqu'en juin 2023, lorsque la Cour a rendu une décision finale annulant définitivement la réforme. Toutefois, la Pologne n'avait toujours pas payé les amendes accumulées, ce qui a conduit la Commission à utiliser un "mécanisme de compensation" pour récupérer directement ces fonds en les déduisant du budget européen alloué à la Pologne.
La Pologne a contesté cette décision devant la justice européenne. Que dit le Tribunal de l'UE aujourd'hui ?
Le Tribunal a donné raison à la Commission européenne. Il a confirmé que Bruxelles avait agi conformément au droit de l'Union en retenant ces fonds. L'argument de la Pologne, selon lequel la nouvelle loi de 2022 aurait dû entraîner une réduction anticipée des amendes, a été rejeté. Selon le Tribunal, la Pologne ne s'était pas pleinement conformée à ses obligations, ce qui justifiait l'application des sanctions jusqu'à leur levée officielle en juin 2023.
Est-ce la fin de l'affaire ou la Pologne peut-elle encore faire appel ?
La Pologne dispose encore de deux mois pour faire appel de cette décision devant la Cour de justice de l'Union européenne. Cependant, le nouveau gouvernement polonais dirigé par Donald Tusk a adopté une ligne pro-européenne et a déjà entrepris de restaurer l'État de droit. Il est donc incertain que cette affaire soit poursuivie. En tout cas, ce jugement rappelle un principe fondamental : le respect de l'État de droit est une obligation pour tous les États membres de l'Union européenne.
Ce jugement rappelle un principe fondamental : le respect de l'État de droit est une obligation pour tous les États membres de l'Union européenne, et les sanctions en cas de violation sont appliquées de manière cohérente. Il envoie également un signal fort aux autres pays qui pourraient être tentés de s'écarter des principes démocratiques fondamentaux. L'Union européenne affirme ainsi qu’elle ne transige pas sur les valeurs fondamentales qui la définissent.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.