Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Dans un arrêt rendu le 9 janvier dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’obligation de communiquer son identité de genre lors de l'achat d'un billet de train sur SNCF était contraire au droit européen.
Pourquoi cette affaire a-t-elle été portée devant la justice européenne ?
Tout a commencé avec une plainte de l’association française Mousse, qui défend les droits des personnes LGBT+. Elle contestait l’obligation imposée par SNCF Connect de choisir entre "Monsieur" ou "Madame" pour acheter un billet de train. Selon eux, cette pratique exclut les personnes non binaires, transgenres ou intersexes.
La CNIL, le régulateur français des données personnelles, avait initialement rejeté leur demande, mais Mousse a persisté et s’est tournée vers le Conseil d’État. Celui-ci, face à la complexité de la question, a demandé un avis à la Cour de justice de l’Union européenne.
La CJUE a alors statué que cette collecte d’informations sur l’identité de genre n’était pas "objectivement indispensable" pour vendre un billet de train. Elle s’appuie sur le principe de minimisation des données, au cœur du RGPD, qui impose aux entreprises de ne collecter que les informations strictement nécessaires à la fourniture de leurs services.
Pourquoi la Cour a-t-elle considéré que cette information n’était pas indispensable ?
La Cour a analysé les arguments avancés par la SNCF, notamment celui selon lequel connaître la civilité des clients permettrait de personnaliser la communication ou d’adapter certains services, comme les wagons réservés aux femmes dans les trains de nuit.
Cependant, la Cour a estimé que ces arguments ne justifiaient pas la collecte systématique de cette donnée sensible. Elle a mis en avant des alternatives moins intrusives, comme l’utilisation de formules de politesse inclusives et génériques, par exemple "Bonjour cher(e) client(e)".
De plus, la CJUE a souligné que ce type de traitement de données pourrait, dans certains cas, entraîner des discriminations, notamment envers les personnes qui ne s’identifient pas comme homme ou femme. En résumé, l’identité de genre n’est pas une information nécessaire pour délivrer un billet de train, et son utilisation ne peut pas être imposée.
Quels pourraient être les impacts concrets de cette décision, pour la SNCF mais aussi pour d’autres secteurs ?
Les impacts sont potentiellement très vastes. Pour la SNCF, cela signifie qu’elle devra revoir ses pratiques. L’obligation de choisir une civilité pourrait être supprimée de son site internet, ce qui implique des modifications techniques mais aussi un changement de paradigme.
Au-delà de la SNCF, cet arrêt pourrait inciter d’autres entreprises, dans tous les secteurs, à revoir leurs formulaires et leurs processus de collecte de données. Par exemple, les compagnies aériennes, les plateformes de commerce en ligne, ou même les administrations publiques devront s’interroger : est-ce que les données qu’elles collectent sont vraiment nécessaires ?
Ce qui est intéressant, c’est que cette décision renforce aussi la portée du RGPD. Elle rappelle aux entreprises qu’elles ne peuvent pas collecter des données sous prétexte de personnalisation ou pour des raisons commerciales floues.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.