Artiste européen·ne de la semaine

Nadine Shah (Londres) - Artiste européenne de la semaine

Nadine Shah (Londres) - Artiste européenne de la semaine

Cette semaine, cap vers l’Angleterre ! Nous nous rendons au nord du pays, front est, à quelques kilomètres de NewCastle : mer du nord à perte de vue, air iodé dans les narines, un vent frais sur la peau : bienvenue à Whitburn, la petite ville balnéaire de 7 000 habitants qui, chanceuse, a vu les premiers pas en 1986 et a entendu les premiers accords de la chanteuse et compositrice Nadine Shah. Pour elle -dit-elle de façon totalement objective j’imagine- c’est de là que viennent les personnes les plus drôles de toute l’Angleterre. Ce n’est cependant pas la scène de stand up que Nadine a trouvé, mais celle de la musique : Nadine Shah fait du rock, du dark rock ou encore du “rock d’indépendant” pour citer le magazine Rolling Stone : sa recette musicale, c’est des paroles parfois sombres, parfois drôles, mais toujours engagées, sur des arrangements tantôt théâtraux, tantôt garage style. Alors montez à bord, on embarque pour la semaine, c’est parti pour une navigation en eaux.. Nadiniennes. 


Chapitre 1 : Shahbada



Le titre Arching Bones est issu de son premier album sorti en 2013 Love your Dum and Mad, une sorte de contrepèterie de Love your mum and Dad -la scène de stand-up n’est quand même pas trop loin. Nadine Shah a alors vingt-sept ans et vit à Londres. Mais rembobinons d’abord un peu. 

Nadine naît un jour de janvier 1986 d’une mère norvégienne et d’un père pakistanais à Whitburn. Baignée dans une double voire triple culture, notre capricorne y passe avec joie son enfance, même si celle-ci est quelque peu compliquée. Entre problèmes de santé et hospitalisations récurrentes, Nadine Shah grandit entourée d’une prudence particulière ; un peu comme un demi confinement avant l’heure. De ces années d’intérieures, Nadine ressort cependant un outil qui lui sera très utile dans le reste de sa carrière : la créativité ! 

Après l’enfance, vient l’adolescence, et Whitburn se met alors à avoir des allures de confinement sur pattes pour notre artiste en herbe fan des sonorités musicales des années 1960 et 1970 : celle qui rêvait d’une autre époque, rêve aussi d’un autre endroit. Dès sa majorité, elle met le cap sur la capitale dans l’objectif -plus ironique que véritable- “de percer”.  Elle fait ses débuts dans des Jam sessions où elle rencontre l’organiste de l’époque yéyé Georgie Fame et le pianiste-jazz étatsunien Mose Allison qui lui apprennent tous deux la rigueur, puis devient chanteuse de jazz pour le Pizza Express Jazz Club du quartier de Soho, avant de se lancer… En Solo !



Le titre Dreary Town est lui aussi tiré de son premier album Love Your Drum and Mad produit avec son ami Ben Hiller, aussi producteur des Depech Mode. Ce titre, Nadina Shah l’écrit deux jours après le suicide de son amour de jeunesse, sorte d’expiation. C’est dans ce contexte, couplé d’un autre décès d’ami que Nadine écrit cet album, un album alors aux arrangements piano/basse/guitare/batterie sombres, parfois lourds -vous l’avez entendu sur les deux titres-, à la limite de la claustrophobie, ce qui lui vaut de la part des critiques d’être vue comme une fusion de l’esprit vengeur de la chanteuse anglaise de rock PJ Harvey et du sang-froid/cruauté du chanteur australien Nick Cave. Dans cet album, Nadine met au centre des thèmes comme les silences autour de la santé mentale -son fil rouge- et les complexités de l’amour. Dans le titre Runaway, Nadine Shah donne la parole à une femme au foyer désabusée dont le départ des enfants, devenus grands, lui laisse suffisamment d’espace pour se questionner sur son expérience et ses sacrifices amoureux… Et lui donner envie de fuir !



Chapitre 2 : Burger Quiz


Cette semaine, nous suivons la chanteuse et musicienne Nadine Shah : au programme, rock’n’roll baby ! Mais pas n’importe lequel, un rock style cold, dark, incisif ; il faut au moins ça pour porter les paroles de notre artiste du moment ! Hier, nous avons retracé les débuts de celle qui quitta sa petite ville côtière du nord de l’Angleterre pour la capitale, empoignant l’espoir de faire carrière, celle qui croyait en la loi des prophéties autoréalisatrices, jouant sur le port à Tony Soprano et choisissant son futur bateau parmi les yatchs amarrés. Et elle a bien eu raison ; peut-être pas de bateaux à l’horizon mais une route musicale assurée : aujourd’hui, je vous propose que l’on se penche sur son deuxième album, sorti lui en 2015, le fameux Fast Food produit avec son ami Ben Hiller, l’ingénieur son à la tête du studio d’enregistrement londonien The Pool. Parle-t-elle de son amour des frites, des amours à faible apport nutritionnel ou des chaînes de restauration rapide ? La réponse, c’est tout de suite. 



Avez-vous écouté les paroles du titre éponyme de l’album, fast food ?  La Fast Food pour Nadine Shah, rien d‘autre que des “vieux amours” dont le recyclage à deux repousse les possibilités nouvelles. 

Cet album, c’est à peu près ça : une capsule d’interrogation sur les amours, des plus malsaines aux plus gratifiantes chantée de la voix atypique de Nadine mise en valeur par un accompagnement classique, permettant un cadre intimiste et vulnérable. Voix tant atypique pour ses graves, que même sa mère la confond parfois avec des artistes hommes sur la BBC, comme le chanteur Drenge.

Cet album assoit doucement la carrière de Nadine : elle le sort un an après avoir fait la première partie de Depeche Mode pour le Winter Tour. Lorsque, depuis les hauteurs de l’avion pour Cologne, la chanteuse arrive à distinguer au travers de l’hublot la salle de concert du jour, un petit déclic à lieu : sa vie, ça peut être ça, c’est possible ! Alors je ne vous parle même pas du moment où elle a joué au babyfoot avec le groupe iconique, c’était top délire méga gros. 



Le titre Nothing Else to Do est peut-être un de mes préférés pour sa simplicité : loin derrière les amours toxiques, si Nadine n’a eu besoin que d’une seule phrase en guise de paroles (“Il n’y avait rien d’autre à faire que de tomber amoureux de toi”) et deux accords sur 5 minutes, c’est bien parce que ce qu’elle décrit ne peut se soustraire à aucun artifice. C’est la magie de Nadine Shah! 

 Je vous propose que l’on se quitte aujourd’hui sur le titre Stealing Cars, un titre qui s’écarte un peu de la ligne de l’album pour aborder la question de la santé mentale, question toujours en filigrane dans l’écriture de Nadine. Dans Stealing Cars, la chanteuse retranscrit la lutte contre les crises de panique et les pensées irrationnelles envahissantes, en mettant en avant une fois de plus, la beauté de la simplicité. De quoi s’entourer de douceur et faire le point avec nous-mêmes ! 



Chapitre 3 : Highway to hell


Cette semaine, nous sommes aux côtés de Nadine Shah, alias la rockeuse anglaise fougueuse au style mordant qui érige la simplicité en art de premier rang. Ne fais pas du simple qui veut ! Après avoir écouté ses premier et deuxième albums, je vous propose aujourd’hui que l’on se penche sur son troisième toujours produit aux côtés de Ben Hiller, sorti lui en 2017 : le fameux Holiday Destination. Oubliez vos lunettes de soleil et vos maillots de bain, Holiday Destination est moins une apologie des vacances aux bords de l’eau qu’une ironie retranscrivant la montée de l’extrême droite, la crise des réfugiés syriens et plus largement du racisme et de l’islamophobie. Changement de cap, changement de décor, Nadine quitte les arrangements théâtraux et sanguinaires pour des ensembles post-punk oscillant entre fragilité et morosité. Elle dénonce, et ce n’est pas pour nous déplaire.  



Dans le titre Out The Way de l’album, Nadine Shah s’indigne de l’injonction manichéenne et absurde à “rentrer chez eux” faites aux personnes issues de l’immigration, comme si leur chez eux n’était pas ici. Née en Angleterre d’un père anglo-pakistanais et d’une mère anglo-norvégienne, Nadine répond “Où veux-tu que j’aille ? Je suis de la deuxième génération, vous ne savez pas ce que c’est”.  

A partir de son identité et de son parcours, Nadine s’engage au début de sa vingtaine contre le racisme, revendiquant sa fierté d’être issue de l’immigration et intervenant dans des écoles. Plus tard, elle s’alignera aux côtés du mouvement Black Lives Matter et récemment, elle appelle publiquement au cessez le feu en Palestine, en publiant une vidéo d’elle alors âgée de 10 ans chantant “What do they all fight about ? Something must be done”.

Je vous propose le titre Jolly Sailor, d’après le nom d’un pub dans sa ville natale. Après le racisme, Nadine dénonce la montée de l’extrême droite : elle écrit ses paroles comme elle poserait une caméra dans le pub, faisant un portrait tendre des communautés ouvrières qui le fréquentent, communautés que les politiciens de droite manipulent, entre stigmatisation, diffusion de la peur de l’autre et appel à des votes contre leurs intérêts. 



Dans cet album, après la dénonciation, Nadine Shah ne déroge pas à son fil rouge à elle : la santé mentale. Le titre 2016 fait partie de ceux dans lesquels elle se confie sur ses propres angoisses à l’aube de sa trentaine, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur, du climat politique et environnemental. Ne cédons pas à la panique ! Nadine nous invite à venir près et à se serrer dans nos bras. 

Alors serrons-nous fort, avec soi ou avec autrui si consentement, rassurons-nous et je vous propose que l’on se quitte comme ça, enlacé sur ce titre, car comme disaient le casting de High School Musical en 2006 : “We’re all in this together”. 



Chapitre 4 : Evier métal 


Cette semaine, nous suivons celle qui, malgré les températures de sa ville natale du nord de l’Angleterre n’avait pas froid à sa musique. La fan de rock et de punk partie à Londres casser la baraque à sa majorité, celle qui habitait en face de la chanteuse Amy Winehouse avec qui elle a partagé un lien explosif, avec qui elle a fait les 400 coups, les 400 fêtes, les 400 verres, et surtout, qui a été sa plus grande inspiration et son déclic, faisant naître chez notre artiste de la semaine l’envie d’écrire ses propres chansons et, l’envie, pour elle aussi, de ne jamais négocier son franc parler : je vous demande d’accueillir Nadine Shah. Après avoir écouté ses 3 premiers albums, je vous propose aujourd’hui de continuer sur notre si belle lancée, et de se pencher sur son quatrième : le Kitchen Sink, “Évier de cuisine” sorti en 2020, toujours aux côtés du producteur Ben Hiller. Alors, de quoi parle-t-elle dans ce projet ? Des meilleurs cuisinistes anglais ? De la politisation des activités dites de subsistance ou de l’usage de bicarbonate pour déboucher un évier ? La réponse, c’est tout de suite.



Nadine Shah a imaginé le titre Ladies for Babies (goat for love) comme une réponse au titre de Ace of Base de 1992, All That She Wants. And all that HE wants, is a baby dénonce Nadine qui critique les attendus encore parfois arriérés faite à une femme mariée par son mari, entre travail de gestation et d’obéissance, réservant l’amour à leur maîtresse… Ici, une chèvre. 

Vous l’aurez deviné, le thème de l’album : non pas les cuisinistes mais bien la politisation des activités de subsistance, de la maternité et du mariage. Nadine se confie sur ses propres questionnements et son cheminement féministe, libérée de la peur de gêner les hommes avec ses propos : s’ils se vexent, tant pis pour eux ! Sur la pochette, on retrouve un plat de fête des années 1970 pris par un technicolor, renvoyant l’idée d’une femme au foyer coincée entre bébé et mari, et d’une décennie qui finalement, n’a pas tant fait avancer les droits des femmes. Des questionnements alors posés du haut de sa trentaine, qui pour elle, est très politique : peu de femmes ont le privilège de passer cette dizaine dans l’industrie musicale.  Sur le titre Club Cougar, -dont les paroles sont paraît il ses préférées écrites de sa main- on l’entend chanter “Call Me Pretty, Make Your Manoeuvre, Shave My legs, Freeze My Eggs”. 



Cet album est pensé comme une reprise festive de pouvoir par les femmes que le magazine Rolling Stone qualifie d’ovni pour ses alternances d’ambiance, entre salle de cabaret, ambiance pop, et cassure de rythme. La continuité : la voix chaude de Nadine Shah. 

Je vous propose qu’on l’écoute une dernière fois pour conclure cet épisode, et quoi de mieux que le titre de clôture de l’album, le Prayer Mat, qui parle lui-même d’une fin de relation amoureuse ? 

Mise en abyme de la conclusion, je la laisse vous embarquer dans cette rupture que les deux protagonistes se résignent à accepter verre à la main. 



Chapitre 5 : Retour vers le futur


Aujourd’hui, nous terminons notre série sur la chanteuse anglaise de rock indépendant, celle qui remplit aujourd’hui des salles de concerts contenant plus de deux fois la population de son village natal, celle qui dénonce en musique le racisme et le sexisme, celle que je ne présente plus : Nadine Shah ! Après avoir remonté toute sa discographie depuis son premier album sorti en 2013, je vous propose aujourd’hui que nous terminions notre saga avec un épisode bande-annonce : Nadine sortira son cinquième album le 23 février 2024, le Filthy Underneath, produit toujours aux côtés de son ami Ben Hiller. Comme vous vous en doutez, je n’ai pas encore la capacité de voyager dans le futur, mais la chanteuse a décidé de partager quelques titres avec son public en amont, alors c’est parti, on se projette le mois prochain. 



Le titre Topless Mother est une chanson groovy dédiée à une ancienne collègue. Spoiler alert : les deux ne s’entendaient pas du tout. Sentiment réciproque donc, qui rend confiante Nadine quant à sa réception je cite : “Je suis aussi presque certaine qu’elle trouverait [cette chanson] drôle. Certaines personnes ne connectent pas et certains connards comme moi écrivent des chansons à ce sujet”. Connard, je ne sais pas, honnête je dirais plutôt : pour citer la sorcière Angela dans ma série fantastique d’ado préférée, l’héritage : “n’avoir que des amis est soit signe d’hypocrisie, soit signe de lâcheté”. 

Sagesse ou honnêteté, cet album, on ne sait pas encore quel en sera le fil rouge ; par contre, si vous nous suivez depuis lundi, vous connaissez celui de Nadine : la santé mentale et cet album n’y dérogera pas. Le second titre révélé de l’album, Twenty Things, est une lettre d’amour aux personnes qu’elle a rencontrées lors de ses séjours en hôpital de la santé mentale post confinement, séjours sur lesquels la chanteuse est restée discrète, bien qu’elle chante depuis plusieurs années déjà les problèmes qu’elle rencontre à ce niveau. Ces personnes rencontrés, Nadine les met en scène au travers de leurs ombres et leurs secrets dans une ambiance sonore sombre, mais intimiste et vulnérable, je cite : "Personne ne vous dit que vous finirez par ressentir si profondément les gens que vous y rencontrerez, Ce qui rend cela plus intense, c'est le fait que vous savez, statistiquement, que tout le monde n'y arrivera pas une fois qu'il aura quitté les lieux".



Nous arrivons à la fin de notre épisode, mais aussi de notre saga sur Nadine Shah ! Si, si, déjà, chapristi. Comme Michel Fugain en 1972, nous aussi avec Nadine, on reprend chacune notre chemin, saluant la providence, en se faisant un signe de la main. Elle rentrant chez elle, là-haut vers le brouillard, et nous redescendant là-bas, vers le midi. Ou quelque part, sur les ondes d’Euradio, en attendant le 23 février pardi ! 

Je vous propose de clore ce chapitre par un petit retour aux sources, pour se rendre compte du chemin que l’on a parcouru toustes ensemble depuis lundi. Rendez-vous en 2012, Nadine Shah sort un de ses premiers titres en solo, le single Are You With Me, “Es-tu avec moi?” sur lequel elle tend la main à son crush, quarante ans après la main tendue de Sheila, neuf ans après les Tragédie, quatre ans après Sean Paul et Zaho. Tout un programme !

Bon week-end à vous, bon week-end à Nadine Shah, et si vous aussi, vous tendez la main à quelqu’un.e cette semaine, envoyez-lui une petite pensée. 

A lundi, sur les pas d’une ou d’un nouvel artiste sur Euradio ! 


Une émission proposée par Hannah Tesson.