Artiste européen·ne de la semaine

Buerak (NOVOSSIBIRSK) - Artiste européen·ne de la semaine

Buerak (NOVOSSIBIRSK) - Artiste européen·ne de la semaine

Cette semaine, nous nous intéressons au post-punk de Buerak.

  

Chapitre 1. De la cold Wave de Sibérie

Buerak réuni Artyom Cherepanov - chanteur et bassiste - et Alexander Makeev - guitaiste. Le duo naît en 2014, à Novossibirsk en Sibérie, une des plus grandes villes de Russie. Dans ce pays, le post-punk bat son plein. Parmi les nombreux groupes qui nourrissent cette scène, de Super Besse à Shortparis, en passant par Motorama, Buerak ne passe pas inaperçu, considéré comme l'un des principaux groupes de la « nouvelle vague russe ». Depuis ses débuts, le duo de Sibérie a présenté 7 albums, 8 EP et une trentaine de single. Toujours dans une coldwave qui fait écho aux années 80 et 90.    

  

     

On se croirait dans un concert underground à Leningrad dans les années 90. A ce moment où la jeunesse russe se passionnait pour la coldwave des années 80, et des groupes tels que Joy Division, The Cure et Depeche Mode. Guitare, basse et chant, le reste ajouté par une machine, le tout enregistré dans un garage. Ils sont autodidactes, composent tout à l'oreille, et il ne faut pas plus pour faire passer le message. Ils chantent ce qui nous rend heureux, triste et mauvais, avec des paroles pleines d'ironies et d'images absurdes ou détournées. Parfois pour dénoncer, comme avec les chansons Shou-biznes et Proletariat. Ou pour imager des sentiments comme avec Kompaktnoye otkroveniye - « révélation compacte » en français - qui dépeint un romantisme exagéré, presque absurde. Ou encore Zhivoy – « vivant » en français - qui va jusqu'au cynisme : « Tout est vide sauf les bouteilles dans cette ville / L'amour est mort depuis longtemps ».

  

   

Chapitre 2. Du post punk soviétique

La scène post-punk est particulièrement foisonnante en Russie. La coldwave en union soviétique, c'est tout une histoire, et c'est un genre en soi. Pour le comprendre il faut remonter à la fin des années 70, lorsqu'il émerge sur la scène occidentale. Après l'explosion du punk naissent tout un ensemble de styles souvent regroupés sous le nom post punk mais qui recouvrent des sons très divers, comme la cold wave qui émerge en Angleterre et la no wave qui vient des États Unis. Le son est généralement plus complexe et plus arty que celui du punk, qui se veut plus direct et violent. La cold wave se démarque aussi par l’utilisation du synthé, qui est souvent utilisé pour donner une ambiance plus froide. Il faut savoir qu'à cette époque en Europe de l'est, les groupes de pop sont très friands du synthé, donc c'est un son assez familier en Russie pour les musiciens de coldwave. Et donc ce nouveau style, venue de l'ouest, trouve un terreau fertile en union soviétique, au sein d'une jeunesse avide de liberté, et admiratrice de l'insoumission de cette culture. On peut comprendre que le côté désespéré et critique de ce genre trouve un écho fort dans la Russie de cette période. Même si lorsqu'il arrive dans le pays, il est considéré avec une grande méfiance par le pouvoir soviétique. On pouvait être arrêté pour être sorti avec les cheveux en crête ou pour se dire punk. Il est même arrivé que le KGB surveille des musiciens. Avant la dissolution de l'Union soviétique - qui s'est achevée en 1991 - les amateurs de post punk devaient faire entrer clandestinement des disques et des cassettes dans le pays pour pouvoir en écouter. Le fait que cette musique soit interdite a sans doute doublé l'intérêt qu'elle suscitait. Si bien qu'à la fin des années 80, le post-punk était devenu le style le plus populaire en URSS.

Et depuis les années 2010, la coldwave soviétique connaît un nouvel âge d'or, notamment en trouvant écho dans la « doomer music », dans une atmosphère dépressive et pessimiste. On peut par exemple citer les groupes Super Besse, Shortparis, Motorama et Buerak. Chez Buerak justement, dans chacun de ses morceaux, la coldwave soviétique des années 80 et 90 résonne D'ailleurs, ils ont écrit plusieurs morceaux en hommage à cette période, dont une chanson intitulée 80,une synth-pop de l'époque aux paroles nostalgiques : « Les cheveux en arrière, comme le look de Stallone, une veste en cuir et une bouteille de vin. Depeche Mode joue et les murs tremblent, les basses soufflent la poussière de mon tapis rétro sur le mur. Rendez-moi mes années 80 ». 

  

  

Chapitre 3. Le anti-héros de Us Khimmin

La cold wave de Buerak nous dépeint un monde assez sombre, avec beaucoup d'ironie et d'absurdité. En fait, c'est leur manière de faire, de partager leur message, à travers un regard humoristique et parfois cynique. Mais nous verrons tout cela dans les prochains chapitres. Car pour mieux les comprendre, il faut d'abord vous présenter le héros des chansons de Buerak, ou plutôt l'« anti-héros ». Pour écrire leurs morceaux, les deux musiciens ont créé un personnage, vivant dans la ville fictive d'Ust Khimim. Ce personnage reflète l'environnement des "gopniks", un nom péjoratif désignant en Russie, en Ukraine et dans les pays de l'ex-URSS, les un homme de classe populaire vivant généralement en banlieue, avec un niveau d’éducation bas et un revenu souvent faible. C'est le cliché du jeune délinquant dans la rude Sibérie. Pour revenir à Buerak, le duo écrit ses chansons comme si c'était le personnage qui raconte ses observations sur le monde. C'est ainsi que sont nés les deux premiers EP Crime & Chłopstwa et Proletariat. Un an plus tard, ils ont sorti le mini-album Roots, toujours avec le même personnage, qui a déménagé dans une grande ville. Le morceau Chanson des petites villes par exemple décrit la vie étouffante de la ville : « On ne peut pas respirer ici / Il y a de la fumée âcre qui vole partout. ». Ou encore la chanson Les gars de la mode avec un regard dans le vide,qui décrit un lundi matin sur le chemin du travail, étouffé par le conformisme de la ville.

  

  

Ce personnage, l'anti-héros à travers lequel Buerak s'exprime dans ses chansons, n'est plus présent dans les derniers albums. Toutefois le ton est resté, un peu sombre et sarcastique. Une ironie pour combattre la prétention intellectuelle très présente dans le post punk.

   

Chapitre 4. Du post-punk anti-intellectuel

Buerak est né d'une protestation contre l'approche consistant à faire du postpunk pseudo-intellectuel. C'est pourquoi ils utilisent beaucoup l'ironie et l'absurde dans leurs textes. Si leur musique est devenue plus mélancolique par la suite, l'humour n'est pas parti pour autant. Parfois, l'ironie et l'absurde sont juste employés pour rire de la situation, pour faire de l'autodérision et pour se moquer. Par exemple Ya tantsuyu sam s soboy - en français « je danse avec moi-même » - ris de la solitude. Et Sobaka – « chien » en français - se moque des comportements amoureux.

   

  

Buerak emploie l'humour et l'ironie pour se moquer, et pour questionner ou décrédibiliser. Mais si l'humour est omniprésent dans leurs textes, sous diverses formes, ça ne les empêche pas d'aborder également des sujets sérieux.

  

Chapitre 5. L'humour pour dénoncer

Chez Buerak, l'humour est parfois utilisé pour dénoncer, comme pour la chanson Shou-biznes par exemple, qui critique le show business russe : « alcool sur le corps, la danse est comme le vandalisme, c'est le show business russe, c'est le show business russe ».

  

  

Parfois, l'humour est un peu délaissé pour aller plus loin dans la critique, comme pour la chanson Proletariat. Elle raconte la colère d'un prolétaire qui travaille dure et honnêtement, et qui regarde les voleurs et les menteurs s'en sortir très bien. Mais il se dit que c'est une honte de vivre ainsi, et reste où il est. "Tout le monde vole mais je ne veux pas le faire / Je suis à l'usine toute la journée / Je travaille seul, parfois pour tout le monde /Je suis l'homme le plus honnête du monde ».

  

  

Prenons un autre exemple, la chanson Kul't Tela – « culte du corps » en français. Elle critique les normes physiques et la pression que l'on met aux femmes sur leur apparence : « Quand je t'ai vu, j'ai eu de la fièvre / Je me souviens de l'amour avec lequel j'ai regardé ton visage / Ma conscience et ma culture étouffaient sous mon pantalon ». Et plus loin : « Cult of the body / Je ne m'intéresse qu'à ton corps / Je t'ai fait un collier en métal / Un collier en métal pour que tu ne puisses pas t'enfuir ».

   

  

De l'humour à la critique, et de l'ironie au cynisme, Buerak aborde des sujets divers, intimes et universels, allant du social au sentimental. Une des figures de la scène cold wave russe, Buerak n'est pas prêt de s'arrêter, avec la publication d'un album par an depuis sa création.

  

Une émission proposée par Mari le Diraison