Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur Euradiosur les relations euro-chinoises.
Below you will find the English version of this article.
Bonjour Elisa, dans ce contexte commercial tendu, que peut-on dire aujourd’hui des exportations chinoises vis-à-vis de l’Europe ?
Malgré la trêve commerciale entre la Chine et les États-Unis, les tensions restent vives et les échanges internationaux sont fortement influencés par les politiques protectionnistes. En août, les exportations chinoises vers les États-Unis ont chuté de 11,8% par rapport au mois précédent, pour atteindre 31,6 milliards de dollars, tandis que les exportations globales ont progressé de 4,4% sur un an. Le surplus commercial chinois s’est établi à 102,3 milliards de dollars, en hausse par rapport à juillet. Face à la contraction des échanges avec les États-Unis, Pékin cherche de nouveaux débouchés : les exportations vers l’Union européenne ont augmenté de 10,4% et celles vers l’Asie du Sud-Est de 22,5%.
Pourquoi la Chine déplace-t-elle ses exportations vers l’Europe et quelles en sont les conséquences pour les industries européennes ?
Jens Eskelund, président de la Chambre de commerce de l’UE en Chine, estime que la Chine devrait rééquilibrer son offre et sa demande pour stabiliser le marché, alors que la compétitivité des entreprises chinoises, une monnaie affaiblie et le soutien étatique accentuent la pression sur les industries européennes. Alexander Brown, analyste senior au MERICS, confirme que Pékin réoriente ses exportations vers l’Europe, avec une hausse de 11% depuis le début de l’année, tandis que celles vers les États-Unis ont chuté d’un tiers. Il précise que les droits de douane américains freinent les exportations chinoises et menacent sa croissance à moyen terme, et que les mesures européennes actuelles ne suffiront probablement pas à modifier la politique industrielle de Pékin.
Quels secteurs européens sont les plus affectés par la pression chinoise et comment cela se manifeste-t-il sur le marché ?
La pression chinoise sur l’Europe touche tous les secteurs industriels. Des économistes évoquent un « deuxième choc chinois » pour l’Europe, comparable à celui de 2001 lors de l’entrée de la Chine à l’OMC. Aujourd’hui, la Chine concurrence non seulement les secteurs à forte main-d’œuvre, comme l’acier par exemple, mais aussi ceux de haute technologie : intelligence artificielle, énergie verte, défense ou automobile. En France, les importations chinoises ont augmenté de 125% pour les produits pharmaceutiques, de 11% pour l’électronique, de 15% pour le transport et de 10 % pour le textile. Jens Eskelund met en garde que le déplacement des flux commerciaux des États-Unis vers l’Europe pourrait peser sur les industries locales, exposées à une double pression : une demande intérieure faible et la montée d’importations subventionnées. Bruno Jacquemin (A3M) rappelle que l’Europe importe plus qu’elle n’exporte et que l’écart a atteint 10,7 millions de tonnes l’an dernier.
Comment l’Union européenne prévoit-elle de protéger son industrie de l’acier face aux importations chinoises ?
Cette dynamique se retrouve également sur le marché de l’acier. Bruxelles prévoit de durcir sa clause de sauvegarde pour protéger la production européenne face aux surcapacités chinoises et à la concurrence à bas prix. Le dispositif de 2018, qui autorisait 15% d’importations sans taxe et imposait 25% au-delà, pourrait être renforcé avec une surtaxe portée à 50% et une réduction de moitié du quota d’importation libre de droits. Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, présente cette mesure comme la plus robuste jamais proposée. La production européenne a chuté de 156 à moins de 130 millions de tonnes en sept ans, tandis que les importations dépassent désormais un cinquième de la consommation. Selon les analystes, des droits de douane à 50% pourraient augmenter la production de 10% et faire remonter les prix.
Que fait l’Europe pour défendre ses industries face à ces pressions, et quelles stratégies sont envisagées pour réduire sa dépendance ?
Face à cette double pression (importations chinoises massives et coûts élevés) l’Union européenne renforce ses instruments de défense commerciale. Elle utilise plus résolument les droits compensateurs et les restrictions aux marchés publics, et réfléchit à une préférence européenne pour les aides publiques et les investissements stratégiques. Jens Eskelund conseille aux gouvernements d’envisager des alternatives lorsqu’une source d’approvisionnement clé se tarit, tout en maintenant le dialogue avec Pékin. L’enjeu est crucial, car la dépendance aux produits chinois et les déséquilibres commerciaux persistants, avec un déficit de 305,8 milliards d’euros en 2024, constituent un véritable défi pour le continent.
Les médias soulignent que la Chine reste également dominante sur le marché des terres rares. Mais comment parvient-elle à conserver cette position, et quelles stratégies les autres pays envisagent-ils pour y répondre ?
Le marché des terres rares illustre la dépendance stratégique de l’Europe. La Chine domine encore le raffinage à hauteur de 80% de la production mondiale, même si l’extraction se diversifie aux États-Unis, en Australie et en Europe. Guillaume Pitron, spécialiste de la géopolitique des terres rares, explique que ce contrôle reste un levier stratégique pour Pékin dans ses négociations internationales. Le G7 envisage d’instaurer un prix plancher pour soutenir la production européenne, mais sa mise en œuvre semble difficile face à l’inflexibilité chinoise.
Quelles sont les perspectives pour l’Europe face à cette combinaison de tensions commerciales, de dépendance stratégique et de pression industrielle ?
L’Europe se retrouve dans un contexte complexe : une Chine en position de force, des marchés américains partiellement fermés, des flux industriels massifs vers le Vieux Continent et des industries locales fragilisées. Les mesures européennes se renforcent progressivement, mais la coordination et la rapidité restent déterminantes pour éviter un nouveau choc industriel sur le continent.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
--
English version :
Junior consultant in public affairs, Elisa Camia specializes in EU-China relations, particularly in the economic and geopolitical sectors. She provides a monthly update on Euradio about EU-China relations.
Hello Elisa, given the current tense trade environment, what can we say about China’s exports to Europe today?
Despite the trade truce between China and the United States, tensions remain high and international exchanges continue to be heavily influenced by protectionist policies. In August, Chinese exports to the United States fell by 11.8% compared with the previous month, reaching 31.6 billion dollars, while overall exports rose by 4.4% year on year. China’s trade surplus stood at 102.3 billion dollars, an increase compared with July. Faced with a contraction in trade with the United States, Beijing is seeking new outlets: exports to the European Union rose by 10.4%, and those to Southeast Asia by 22.5%.
Why is China redirecting its exports towards Europe, and what impact does this have on European industries?
Jens Eskelund, President of the EU Chamber of Commerce in China, believes that China should rebalance its supply and demand to stabilise the market, as the competitiveness of Chinese companies, a weakened currency, and state support increase pressure on European industries. Alexander Brown, Senior Analyst at MERICS, confirms that Beijing is redirecting its exports towards Europe, with an 11% rise since the beginning of the year, while exports to the United States have fallen by a third. He notes that US tariffs are curbing Chinese exports and threatening its medium-term growth, and that current European measures are unlikely to alter Beijing’s industrial policy.
Which European sectors are most affected by Chinese pressure, and how does this manifest in the market?
Chinese pressure on Europe affects all industrial sectors. Economists say Europe may be facing a “second Chinese shock,” echoing the disruption that followed China’s entry into the WTO in 2001. Today, China competes not only in labour-intensive sectors, such as the steel industry, but also in high-tech industries such as AI, green energy, defence, and the automotive sector. In France, Chinese imports have increased by 125% for pharmaceuticals, 11% for electronics, 15% for transport, and 10% for textiles. Jens Eskelund warns that the shift of trade flows from the United States to Europe could weigh on local industries, exposed to double pressure: weak domestic demand and rising subsidised imports. Bruno Jacquemin (A3M) notes that Europe imports more than it exports, with the gap reaching 10.7 million tonnes last year.
How does the European Union plan to protect its steel industry against Chinese imports?
This dynamic is also evident in the steel market. Brussels plans to tighten its safeguard clause to protect European production against Chinese overcapacity and low-cost competition. The 2018 framework, which allowed 15% of imports duty-free and imposed a 25% tariff beyond that, could be strengthened with a surcharge raised to 50% and a halving of the duty-free import quota. Stéphane Séjourné, Vice-President of the European Commission, describes this measure as the most robust ever proposed. European production has fallen from 156 to less than 130 million tonnes over seven years, while imports now account for more than a fifth of consumption. Analysts suggest that a 50% tariff could boost production by 10% and push prices upward.
How is Europe responding to protect its industries from these pressures, and what strategies are being explored to reduce its dependence?
Faced with this dual pressure — massive Chinese imports and high costs — the European Union is strengthening its trade defence measures. It is more actively using countervailing duties and public procurement restrictions and is considering a European preference for public subsidies and strategic investments. Jens Eskelund advises governments to explore alternatives when a key supply source dries up, while maintaining dialogue with Beijing. The stakes are high, as dependence on Chinese products and persistent trade imbalances, with a projected deficit of €305.8 billion in 2024, pose a serious challenge for the continent.
The media highlight China’s continued dominance in the rare earths market. How does it manage to maintain this position, and what strategies are other countries considering in response?
The rare earths market illustrates Europe’s strategic dependence. China still dominates refining, accounting for 80% of global production, even though extraction is diversifying in the United States, Australia, and Europe. Guillaume Pitron, a specialist in the geopolitics of rare earths, explains that this control remains a strategic lever for Beijing in its international negotiations. The G7 is considering introducing a floor price to support European production, but implementation appears difficult given China’s inflexibility.
What outlook does Europe have in the face of this mix of trade tensions, strategic dependence, and industrial pressure?
Europe finds itself in a complex context: China in a position of strength, partially closed US markets, massive industrial flows towards the Old Continent, and weakened local industries. European measures are gradually being strengthened, but coordination and speed remain crucial to avoid a new industrial shock on the continent.
An interview by Laurence Aubron.