Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.
Below you will find the English version of this article.
Bonjour Elisa, chaque mois, vous nous éclairez sur les grandes dynamiques qui façonnent les relations entre l’Union européenne et la Chine. Aujourd’hui, vous allez nous parler de l’accord entre l’UE et le Mercosur, et de son importance pour les relations sino-européennes.
Bonjour Laurence, oui tout à fait. Bien qu'il ne semble pas directement lié, cet accord occupe une place essentielle dans les relations commerciales entre l'Europe et la Chine.
Pour rappel, l’accord qui a été signé / qui n’a pas été signé, est un accord de libre-échange qui est en discussion depuis une vingtaine d’année et qui fait partie d’un accord d’association plus large qui prévoit « un dialogue politique et la coopération entre les deux régions ». L’accord a été négocié en 2019, mais la ratification a été bloqué en grande partie en raison de la politique menée par l’ex-Président brésilien Bolsonaro en matière d’environnement et de déforestation. Les discussions ont repris en 2022 après l’élection du Président Lula. Comme l’on sait, ce traité a donné vie à une série de manifestations agricoles.
A partir de cette mise en contexte donc, vous dites que cet accord joue un rôle central dans les relations économiques et commerciales de l’UE et de la Chine ?
Oui, exactement. Mais pas seulement sur ce volet. La guerre en Ukraine a rappelé à quel point nos économies sont interconnectées et vulnérables face aux perturbations géopolitiques. Pour cela, l’UE doit diversifier ses relations commerciales pour garantir sa résilience économique et stratégique.
Aujourd’hui, les dépendances commerciales, en particulier envers la Chine, représentent un risque majeur. En 2022, la Chine comptait pour plus de 20% des importations européennes. Si une escalade des tensions sino-américaines venait à se produire, cette dépendance pourrait gravement fragiliser l’économie européenne. C’est pourquoi l’Europe veut repenser sa stratégie et s’ouvrir à de nouveaux partenaires tout en consolidant ses positions existantes. L’UE a déjà signé des accords avec la Nouvelle-Zélande et le Canada, par exemple.
Quel est l'impact potentiel de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur sur le commerce et l'économie européenne ?
Créer des nouveaux accords donnerait à l’UE des nouvelles opportunités dans des domaines stratégiques comme la transition énergétique. Ce secteur, en pleine croissance, offre des perspectives uniques pour collaborer avec d’autres régions du monde, notamment celles riches en matières premières critiques.
Dans ce contexte, l’accord entre l’UE et le Mercosur joue un rôle important. Avec ses 260 millions de consommateurs et ses ressources naturelles stratégiques, le Mercosur représente une opportunité unique. Cet accord permettrait de réduire les droits de douane élevés sur des produits industriels et agricoles, tout en facilitant l’accès des entreprises européennes aux marchés publics et aux investissements locaux. Ce partenariat renforcerait également la position de l’UE dans des secteurs cruciaux comme l’automobile, les machines-outils, les technologies de l’information et pourquoi les matières premières critiques, dont la Chine est l’un des majeurs stockeurs.
Est-ce que la Chine a du coup des intérêts liés à ces matières premières en Amérique Latine ?
Oui, tout à fait. Au-delà des aspects économiques, cet accord est une réponse directe à la montée en puissance de la Chine en Amérique latine. Pékin a investi massivement dans cette région pour sécuriser ses approvisionnements en matières premières comme le lithium et le cuivre, essentiels à la transition énergétique. Les investissements chinois en Amérique latine ont été multipliés par 34 entre 2020 et 2022. Si l’Union européenne reste aujourd’hui le principal investisseur en Amérique latine, la croissance rapide des investissements chinois menace de renverser cette dynamique.
Intensifier les relations commerciales avec le Mercosur permettrait de rétablir un équilibre, tout en stimulant des investissements durables et respectueux des normes environnementales.
Là réside une différence clé entre l’Europe et la Chine : les engagements envers la durabilité. L’accord UE-Mercosur inclut des règles strictes sur les normes sociales, environnementales et climatiques.
Ignorer cette opportunité risquerait de pousser les pays du Mercosur à renforcer leurs relations avec des partenaires aux ambitions environnementales bien moins exigeantes et donc se tourner encore plus vers la Chine.
Comment percevez vous les divisions potentielles entre les États membres engendrées par cet accord ?
L’Europe doit s’aligner sur une stratégie unifiée vis-à-vis de la Chine. Sans une vision unifiée l’Europe perd de crédibilité à toutes les échelles : l’UE ne peut pas se montrer faible aux niveaux géoéconomique et géopolitique, en particulier pendant cette période. La réduction des dépendances, ne peut réussir sans des alternatives crédibles. La récente stratégie de Berlin pour la Chine est un pas dans la bonne direction, mais elle doit être accompagnée d’actions concrètes pour stimuler la diversification économique. La transition géopolitique actuelle pousse l’Union européenne à reconsidérer son rôle sur la scène mondiale. L’Europe doit se positionner comme un partenaire fiable des démocraties du monde entier, en construisant des relations commerciales fondées sur la coopération et l’égalité. Ce n’est qu’en développant des alliances solides qu’elle pourra garantir sa sécurité économique, énergétique et stratégique.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
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English version :
Junior consultant in public affairs, Elisa Camia specializes in EU-China relations, particularly in the economic and geopolitical sectors. She provides a monthly update on Euradio about EU-China relations.
Hello Elisa, every month you shed light on the major dynamics shaping the relationship between the European Union and China. Today, you're going to talk to us about the EU-Mercosur agreement and its significance for Sino-European relations.
Hello Laurence, yes, absolutely. Although it may not seem directly connected, this agreement plays a crucial role in the trade relations between Europe and China.
As a reminder, the agreement—which, at the time of this recording, has yet to be signed—is a free trade deal that has been in the works for nearly two decades. It forms part of a broader association agreement aimed at fostering political dialogue and cooperation between the two regions. Although the deal was negotiated in 2019, its ratification was largely stalled due to the environmental and deforestation policies of former Brazilian President Jair Bolsonaro. Negotiations resumed in 2022 following the election of President Lula. As we know, the treaty has triggered widespread protests from the agricultural sector.
Given that context, would you say this agreement plays a key role in shaping the EU’s economic and trade relations with China ?
Yes, precisely—but its importance goes beyond that. The war in Ukraine has highlighted just how deeply interconnected our economies are, and how exposed they can be to geopolitical shocks. That’s why the EU needs to diversify its trade relationships in order to ensure both economic and strategic resilience.
Today, trade dependencies—particularly on China—pose a major risk. In 2022, China accounted for more than 20% of EU imports. If tensions between China and the U.S. were to escalate, this dependency could severely undermine the European economy. That’s why Europe is working to rethink its strategy by opening up to new partners while also reinforcing its existing ones. The EU has already signed agreements with countries like New Zealand and Canada, for example.
What is the potential impact of the EU-Mercosur agreement on European trade and the economy ?
Establishing new agreements would give the EU fresh opportunities in strategic areas such as the energy transition. This rapidly growing sector offers unique prospects for collaboration with other regions of the world—particularly those rich in critical raw materials.
In this context, the EU-Mercosur agreement plays a significant role. With 260 million consumers and strategic natural resources, Mercosur represents a unique opportunity. The agreement would reduce high tariffs on industrial and agricultural products while making it easier for European companies to access public procurement and local investment opportunities. This partnership would also strengthen the EU’s position in key sectors such as automotive, machine tools, information technology, and potentially critical raw materials—of which China remains one of the world’s largest stockpilers.
Does China have a stake in Latin America’s raw materials ?
Yes, absolutely. Beyond the economic aspects, this agreement is also a direct response to China’s growing influence in Latin America. Beijing has heavily invested in the region to secure access to raw materials such as lithium and copper, which are essential for the energy transition. Chinese investments in Latin America increased 34-fold between 2020 and 2022. While the European Union remains the region’s largest investor for now, the rapid rise of Chinese investment threatens to shift that balance.
Strengthening trade relations with Mercosur would help restore equilibrium, while also encouraging sustainable investment practices that respect environmental standards.
And that’s where a key difference lies between Europe and China: their commitments to sustainability. The EU-Mercosur agreement includes strict provisions on social, environmental, and climate standards.
Missing this opportunity could risk pushing Mercosur countries toward closer ties with partners whose environmental ambitions are far less rigorous—namely, toward China.
How do you view the potential divisions among member states brought about by this agreement ?
Europe needs to adopt a unified approach toward China. Without a cohesive strategy, the EU risks losing credibility on multiple levels: it cannot afford to appear weak in both geo-economic and geopolitical matters, especially at this critical time. Reducing dependencies won’t succeed without viable alternatives. Germany's recent strategy on China is a step in the right direction, but it needs to be backed by concrete actions to foster economic diversification. The current geopolitical shifts are pushing the European Union to reassess its role on the global stage. Europe must establish itself as a reliable partner for democracies worldwide, creating trade relationships built on cooperation and mutual respect. Only through strong alliances can it safeguard its economic, energy, and strategic security.
An interview by Laurence Aubron.