Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.
Bonjour Elisa, aujourd’hui vous allez nous parler de comment l’importation de véhicules électriques depuis la Chine peut impacter l’économie européenne.
Oui tout à fait. L’importation de véhicules électriques depuis la Chine est un sujet d’actualité qui prend beaucoup de place dans les médias et qui mérite d’être approfondi.
Vous pouvez commencer en nous donnant quelques éléments de contexte ?
Bien sûr. On peut dire que tout commence en 2015, quand la Chine devient le premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies avec 331 000 ventes. Ces ventes ont augmenté au fil des années jusqu’à créer une surproduction. La Chine décide donc de viser l’Europe et les pays émergents comme le Brésil ou l’Indonésie pour ses ventes et pour diminuer sa surcapacité. Toutefois, les exportations chinoises vers l’Europe entraînent une forte compétitivité chez les fabricants européens, qui ne peuvent pas soutenir le rythme chinois.
Le rythme chinois, ce n’est pas une question de prix ?
Pas qu’une question de prix. C’est vrai que les prix jouent un rôle essentiel, les prix chinois sont souvent plus bas de 17 à 24% par rapport aux autres constructeurs internationaux, mais c’est aussi la vitesse avec laquelle la Chine innove qui met en danger les autres fabricants. Les constructeurs chinois arrivent à développer des nouveaux modèles en vingt mois contre quarante mois en moyenne pour une marque occidentale.
Avec l’accord européen du Fit for 55, c’est-à-dire l’interdiction des voitures à essence à partir de 2035, les constructeurs automobiles européens ont entamé une reconversion vers la construction de voitures électriques, mais avec la concurrence chinoise, la reconversion est contre-productive. Cela on le voit bien en Allemagne, dont le secteur automobile est en crise. Volkswagen par exemple, avait décidé de se reconvertir à la production de voitures électriques, mais évidemment avec celles chinoises, leurs ventes n’ont pas augmenté et maintenant la marque doit faire face à un plan de licenciement énorme : il faut se rappeler que si on parle d’économie européenne ou nationale, on parle également d’emploi, pas seulement de production.
Et donc comment l’UE peut faire face à la compétitivité chinoise ?
L’UE vient de mettre en place une mesure qui crée des droits de douane compensateurs allant jusqu’à 35 % sur les véhicules à batterie de fabrication chinoise, en plus des 10% de taxe déjà existants. L’objectif est de rétablir des conditions de concurrence équitable. Cette mesure est le résultat d’une enquête de la Commission européenne sur les voitures électriques chinoises et les incidences de subventions déloyales sur les importateurs, les utilisateurs et les consommateurs de BEV (véhicules électriques) dans l'UE. La mesure a officiellement été voté par les pays membres en octobre après de longs débats et parmi les pays opposés à cette mesure, on retrouve l’Allemagne qui craint notamment le début d’une guerre commerciale.
Est-ce réellement une possibilité ?
C’est compliqué de donner une réponse absolue, mais c’est vrai qu’on peut craindre des répercussions, qu’on voit déjà également en France. Alors que la Commission européenne avait annoncé l’augmentation des droits de douane, la Chine a de son côté ouvert une enquête sur les produits laitiers exportés par l’UE vers la Chine. Pékin vise les subventions octroyées au titre de la PAC ainsi que de certains programmes nationaux et régionaux. Pékin ne s’est pas arrêté à ça. La Chine a notamment ciblé l’exportation du cognac et de l’armagnac français, en augmentant les taxes d’importation de 30 à 39% sur les spiritueux européens. En plus de ça, la Chine commence également à viser l’exportation de viande de porc, dont la filière française est particulièrement concernée. Pour cela, la nouvelle ministre française du Commerce extérieur est en visite à Shanghai pour essayer de convaincre son homologue chinois de supprimer les taxes douanières sur le cognac et les produits laitiers.
Puisque les relations entre les Etats-Unis et la Chine sont tendues, les répercussions sur l’Europe pourraient s’aggraver avec la victoire de Donald Trump ?
C’est difficile à dire. Ces dernières années, la Chine a été à la fois le concurrent économique, le partenaire et le rival systémique de l'UE ; malgré les tensions croissantes, les deux parties sont très dépendantes économiquement l'une de l'autre. Ces derniers mois, un groupe de travail de la Commission européenne a analysé les scénarios post-électoraux aux États-Unis et leurs implications pour l'Europe. Depuis 2016, lorsque Trump a été élu président pour la première fois, les relations entre les États-Unis et la Chine se sont détériorées, évoluant vers des restrictions sévères sur un nombre restreint de technologies ayant un potentiel militaire important, parallèlement à des échanges économiques normaux dans d'autres domaines.
Toutefois, la Chine est, après les États-Unis, le deuxième partenaire commercial de l'Union européenne. Il ne sera donc pas facile pour Bruxelles de se montrer ferme avec la Chine, même si la pression américaine s'intensifie. Selon Mario Esteban, analyste au sein du groupe de réflexion espagnol Elcano Royal Institute, la position américaine n'affecterait pas la position de l'UE sur les droits de l'Homme en Chine, mais laisserait les pays membres plus isolés au niveau mondial - et aurait également des implications commerciales.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.