Chine - Europe : entre tensions et perspectives

Le soft-power marchand

Photo de appshunter.io sur Unsplash Le soft-power marchand
Photo de appshunter.io sur Unsplash

Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur Euradiosur les relations euro-chinoises.

Below you will find the English version of this article.

Elisa, cette période a été marquée par la confrontation entre le gouvernement français et l’Union européenne d’une part, et les plateformes de commerce chinoises, comme Shein, d’autre part.

Comment expliquer que certaines marques chinoises low-cost parviennent à s’imposer sur nos marchés ?

La Chine ne cherche plus seulement à produire pour le monde, mais à devenir un acteur central de la distribution et de la consommation mondiales. L’implantation de marques low-cost comme Shein dans des lieux emblématiques européens illustre cette stratégie d’ancrage durable.En proposant massivement des produits très bon marché et en contrôlant toute la chaîne de production à la livraison, ces plateformes imposent progressivement leurs propres normes de consommation. Cette dynamique banalise les marques chinoises, transforme les habitudes d’achat et affaiblit peu à peu les marques européennes traditionnelles.

Ce « soft-power marchand » est subtil mais potentiellement très puissant, parce qu’il s’inscrit dans la vie quotidienne, par la consommation courante, et non par la culture ou la diplomatie. Ce n’est pas une influence forcée, mais une influence que les consommateurs adoptent d’eux-mêmes. 

Pourquoi les plateformes chinoises à bas coût suscitent-elles autant de critiques en Europe ?

Le modèle des plateformes chinoises à bas coût suscite de fortes critiques en Europe, car il menace les secteurs traditionnels et fragilise les filières locales. Des questions se posent aussi sur la conformité des produits aux normes européennes, la sécurité des consommateurs et l’impact écologique. Le recours à des colis de faible valeur venant de Chine permet des prix très bas, mais crée une concurrence déséquilibrée et une dépendance implicite aux circuits chinois.

Quelles mesures l’UE met-elle en place pour lutter contre ce phénomène ?

Face à ce phénomène, l’Union européenne et plusieurs États membres ont commencé à réagir. Confrontée à un afflux gigantesque de petits colis (4,6 milliards en 2024, dont 91% en provenance de Chine selon la Commission européenne), l’UE a entamé une réforme visant à supprimer l’exonération douanière pour les colis de faible valeur (moins de 150€). Elle propose aussi d’instaurer une redevance de 2€ par colis pour compenser le coût des contrôles et renforcer les mécanismes de surveillance, pour assurer que les biens importés respectent les normes de sécurité, environnementales et de concurrence. 

En parallèle, des institutions européennes réclament un renforcement des contrôles, des obligations accrues pour les plateformes, plus de sanctions dissuasives contre les importations non conformes, et une application rigoureuse des règles protectrices des consommateurs. 

Quel impact réel ont les plateformes chinoises comme Shein sur l’économie et les habitudes de consommation en Europe ?

Ainsi, le “soft-power marchand” chinois, incarné par Shein, mais aussi par d’autres plateformes, fonctionne aujourd’hui comme un outil d’influence discret mais structurant. Il change la donne économique en Europe, redessine les habitudes de consommation et conteste l’équilibre concurrentiel traditionnel. Mais il se heurte à des résistances croissantes, à des défis réglementaires et à des enjeux de durabilité, de justice économique et de souveraineté industrielle.

Ce qui se joue ici n’est pas seulement un combat commercial, mais une reconfiguration des rapports économiques, culturels et structurels entre la Chine et l’Europe, par le biais de la consommation.

Est-ce que les succès de plateformes comme Shein ou Temu ont des implications qui dépassent le simple commerce ?

À cela s’ajoute une dimension géopolitique indirecte : même si Shein ou Temu ne sont pas des « instruments étatiques » au sens traditionnel, leur succès, leur influence et leur pénétration du marché européen confèrent à la Chine un pouvoir d’influence silencieux, structurel, ancré dans le quotidien des consommateurs. Ce n’est pas le soft-power culturel (films, médias), ni le hard-power militaire, mais un « soft-power économique » potentiellement très durable.

L’implantation de Shein, Temu et AliExpress en Europe illustre une nouvelle forme d’influence chinoise : plus discrète, plus diffuse, mais profondément ancrée dans les pratiques de consommation. C’est un pouvoir d’attraction et de normalisation, qui transforme progressivement les marchés, les usages et les attentes des consommateurs.

Ce modèle d’influence économique chinois est-il durable ?

Ce soft-power marchand n’est pas garanti : l’intensification des régulations, la prise de conscience écologique et sociale, la mobilisation des industriels européens et les scandales liés à la conformité peuvent fragiliser ce modèle. Il s’agit davantage d’un pari stratégique de long terme que d’un acquis définitif.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

--

English version :

Junior consultant in public affairs, Elisa Camia specializes in EU-China relations, particularly in the economic and geopolitical sectors. She provides a monthly update on Euradio about EU-China relations.

Hello Elisa, this period has been marked by a confrontation between the French government and the European Union on the one hand, and Chinese e-commerce platforms such as Shein on the other.

How can we explain that certain low-cost Chinese brands manage to gain a foothold in our markets?

China is no longer just producing for the world; it seeks to become a key player in global distribution and consumption. The expansion of low-cost brands like Shein into prominent European locations reflects this strategy of establishing a lasting presence.

By offering ultra-affordable products on a massive scale and controlling the entire production and delivery process, these platforms are gradually setting their own consumption standards. This trend normalizes Chinese brands, changes shopping habits, and slowly undermines traditional European brands.

This “commercial soft power” is subtle but potentially very powerful, because it operates in everyday life through ordinary consumption rather than through culture or diplomacy. It is not a forced influence, but one that consumers adopt voluntarily.

Why do low-cost Chinese platforms attract so much criticism in Europe?

The low-cost Chinese platform model has drawn strong criticism in Europe, as it threatens traditional sectors and weakens local supply chains. Concerns are also raised about product compliance with European standards, consumer safety, and environmental impact. Relying on low-value parcels from China enables very low prices, but it creates uneven competition and an implicit dependence on Chinese distribution channels.

What measures is the EU implementing to address this phenomenon?

The European Union and several member states have begun to take action. Faced with a massive influx of small parcels (4.6 billion in 2024, 91% of which come from China, according to the European Commission), the EU has launched a reform aimed at eliminating the customs exemption for low-value parcels (under €150). It also proposes introducing a €2 fee per parcel to offset the cost of inspections and strengthen monitoring mechanisms, ensuring that imported goods comply with safety, environmental, and competition standards.

At the same time, European institutions are calling for stronger inspections, increased obligations for platforms, harsher penalties for non-compliant imports, and strict enforcement of consumer protection rules.

How are Chinese platforms like Shein actually affecting the European economy and consumer behavior?

The Chinese “commercial soft power,” embodied by Shein as well as other platforms, operates as a subtle but shaping tool of influence. It is changing the economic landscape in Europe, reshaping consumer habits, and challenging the traditional competitive balance. Yet it faces growing resistance, regulatory challenges, and issues related to sustainability, economic fairness, and industrial sovereignty.

What is at stake here is not merely a commercial battle, but a reconfiguration of the economic, cultural, and structural relations between China and Europe, mediated through consumption.

Do the achievements of platforms such as Shein or Temu have consequences that extend beyond simple commercial activity?

There is also an indirect geopolitical aspect: although Shein and Temu are not “state tools” in the traditional sense, their success, market influence, and deep presence in Europe provide China with a subtle, structural form of influence rooted in everyday consumer life. This is not cultural soft power (films, media) nor military hard power, but a potentially enduring form of “economic soft power.”

The rise of Shein, Temu, and AliExpress in Europe exemplifies this new form of Chinese influence: subtle, widespread, yet deeply woven into everyday consumer habits. It represents a force of attraction and standardization, gradually reshaping markets, purchasing patterns, and consumer expectations.

Can this Chinese approach to economic influence endure over the long term?

This commercial soft power is not guaranteed: increasing regulations, growing ecological and social awareness, mobilization of European industries, and scandals related to compliance can all undermine this model. It is more of a long-term strategic bet than a definitive achievement.

An interview by Laurence Aubron.