La guerre des étoiles

Le Centre spatial guyanais

© Camille Gévaudan -  Wikimedia Commons Le Centre spatial guyanais
© Camille Gévaudan - Wikimedia Commons

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Bonjour Iris Herbelot ! On se retrouve cette semaine pour parler de l’étape incontournable entre fabrication des fusées et exploration de l’espace : le centre spatial guyanais, depuis lequel sont lancées les fusées européennes !

C’est une part essentielle et intrinsèque de l’histoire du spatial européen et même mondial, bien loin du continent effectivement ! Le Centre Spatial Guyanais, le CSG, c’est plus de soixante ans de lancements depuis la Guyane, avec des grands noms de missions, comme notamment la star actuelle de l’observation du cosmos, le satellite James-Webb.

C’est un centre qui est administré par l’ESA et le CNES, un centre franco-européen, on pourrait dire. Et c’est comme vous le disiez l’étape indispensable dans la chaîne du spatial, celle où l’on envoie ce que l’on a construit en orbite, voire même au-delà, puisque c’est par exemple depuis le CSG qu’ont été lancées les sondes d’exploration de notre système solaire Rosetta-Philae, et plus récemment, JUICE, dont j’espère qu’on reparlera dans nos futures chroniques !

Pourquoi avoir choisi la Guyane pour construire des pas de tir de fusée ?

Il y a deux raisons : la principale est géographique. Kourou c’est proche de l'équateur, donc idéal pour s’arracher à la gravité terrestre, c’est bordé par l’océan Atlantique et met moins en danger les populations si une fusée explose en vol, et c’est à l’abri des ouragans qui frappent la région, on pense notamment à la Floride, où les Américains ont un de leurs sites de lancements le plus célèbre. La deuxième raison, c’est que la Guyane est une ancienne colonie française, et que le gouvernement français avait moins d’hésitations à chasser les habitants de la zone sur laquelle ils voulaient construire le CSG. C’est un pan sombre de l’histoire, mais qu’il ne faut pas oublier. Qu’on parle du CSG, surnommé Kourou d’après l’une des communes sur lequel il a été construit, ou du Kennedy Space Centre aux Etats-Unis, ce sont des infrastructures qui ont été construites au détriment des populations locales, qu’elles soient humaines ou animales ou végétales. Dans le cas de Kourou, c’est un héritage du colonialisme français autant que de l’excellence industrielle européenne, et je pense qu’il serait profondément immoral de l’oublier au profit uniquement des aspects bénéfiques du CSG.

Le centre guyanais a commencé à être construit en 1964, ç’a donné lieu à des déplacements des populations, qui ont été relogées sans tenir compte de leur mode de vie, de leurs traditions culturelles, de leurs emplois, et ç’a été un coup irrémédiable aux communautés locales.

Une histoire bien sombre en effet, le prix à payer pour les Guyanais en valait-il la peine ?

C’est indéniable que l’apport scientifique et stratégique que Kourou a apporté à l’humanité en permettant de lancer ces fusées est incommensurable. Comme c’est un territoire français, c’est aussi de là que sont lancés les satellites militaires français. Si on remonte encore plus loin dans l’histoire du spatial français, les lancements avant Kourou se faisaient depuis l’Algérie. Au moins en Guyane française le CSG a pu avoir un impact durable et positif sur une partie de l’économie locale ; en partie parce que Kourou, ça n’est pas seulement une base de lancement, il y a aussi trois usines de production de système de propulsion ! Le projet du CSG a bien évolué depuis l’idée de départ des années 60, qui était on ne va pas se le cacher, plutôt grosso modo “tiens prenons un de nos territoires d’outre-mer, on bétonne tout et on fait décoller nos fusées depuis là-bas, loin de notre métropole proprette !”

Et je pense que d’avoir fait de la Guyane française un fleuron de l’industrie spatiale européenne, c’est quelque chose à célébrer, surtout quand on pense à d’autres régions d’outre-mer françaises, qui souffrent d’un manque d’investissement dans leurs économies locales et sont sous perfusion de l’Etat et de la métropole, comme Mayotte.

Le CSG est donc un lien entre passé, présent et futur de l’industrie spatiale européenne. Quel est l’avenir du site de lancement ?

Il y a plusieurs choses à dire sur ce point. Déjà, depuis l’arrêt des lancements Soyouz en 2022, guerre en Ukraine oblige, les pas de tirs ont été réattribués à des lanceurs du new space européen. Donc Kourou c’est un site en évolution, qui investit dans les nouveaux acteurs du spatial.

Après, la Guyane perd de ce qui était quasiment un monopole des lancements européens, parce que les avantages qu’offre la proximité avec l’équateur, on les retrouve beaucoup aux deux pôles du globe. C’est pour ça que Rocket Lab, une entreprise néo-zélandaise à sa création, a fait beaucoup de ses lancements directement depuis le large de la Nouvelle-Zélande.

Et c’est pour ça que l’Ecosse, notamment, mais aussi les pays scandinaves, particulièrement la Suède et la Norvège, investissent énormément ces dernières années dans la construction de sites de lancements sur leurs territoires. Et en Ecosse notamment, l’ESA prévoit d’y favoriser les lancements des start-ups européennes, avec l’avantage non négligeable que ça coûte moins cher d’acheminer et d’assembler une fusée d’un site de production français ou allemand en Ecosse qu’en Guyane française, particulièrement quand on parle de micro-lanceurs, donc moins encombrants qu’un lanceur lourd qui a besoin d’un bateau fait sur-mesure pour elle comme Ariane 6.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.