La guerre des étoiles

Un programme lunaire européen (1/2)

© NASA Un programme lunaire européen (1/2)
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Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Nous nous retrouvons pour un épisode en deux parties consacré aux ambitions européennes sur notre satellite naturel, la Lune.

A l’heure où les Etats-Unis ne sont plus, malheureusement, un partenaire fiable –et pas que pour le secteur spatial– il est intéressant de voir que l’Europe, par le biais de l’ESA notamment, ne cherche pas juste à diversifier ses partenariats, mais aussi à développer des programmes propres à elle-même. Et parmi ces programmes, la Lune, qui est l’astre le plus proche mais paradoxalement l’un des plus durs à atteindre, est dans le viseur.

L’Europe est un vieux continent et nous ne sommes pas plus bêtes qu’ailleurs, pourquoi n’avoir pas développé de programme lunaire plus tôt ?

Il y a des raisons de coûts et d’ambition. Alunir est très difficile, beaucoup d’agences spatiales et d’entreprises s’y sont cassé les dents ces dernières années. Il faut avoir des instruments d’une grande précision, se poser à quelques mètres près du site ciblé ou bien risquer d’être piégé dans un cratère… Et les cycles jour-nuit sur la Lune durent une quinzaine de jours, donc il faut prévoir une alimentation qui gardera les instruments fonctionnels et au chaud pendant le cycle nuit, ou bien être prêt à sacrifier des millions d’euros dans une mission d’une grosse dizaine de jours. Et puis, alunir pour faire quoi ? L’ESA a pu étudier des échantillons lunaires grâce à ses partenariats avec les Etats-Unis et la Chine ; et aller prospecter sur la Lune pour repérer l’endroit idéal où installer une base lunaire, ça ne vaut le coup que si l’on veut construire une base lunaire.

Pourquoi développer un programme lunaire européen, alors ?

Il y a un enjeu de souveraineté et d’autonomie, déjà. Nous sommes dans un monde multipolaire, où l’Europe n’est pas isolée, mais où l’on réalise à la dure que nous ne pouvons plus dépendre d’autres puissances, que ce soit pour notre sécurité, nos communications, ou notre recherche scientifique. C’est pour ça que l’ESA avait passé un appel d’offre en 2023 pour un vaisseau cargo européen, qui permettrait à l’Europe d’être autonome dans ses aller-retours en orbite. Ça coïncide joliment avec la reprise des lanceurs européens, en tête de proue Ariane 6. Et The Exploration Company, une start-up franco-allemande, avait répondu à l’appel d’offre, et avance bon train sur sa capsule spatiale Nyx, qui pourrait même être déclinée en une version habitée. En attendant, le test effectué en juin s’est montré très prometteur pour l’avenir de la capsule, et The Exploration Company a déjà plusieurs contrats, y compris avec des agences spatiales.

Vous l’avez dit, rien ne sert d’aller sur la Lune si ça n’est pas pour y faire quelque chose. Quelles sont les ambitions lunaires européennes, alors ?

A l’origine, la participation de l’ESA au programme Artemis américain a de nombreux avantages : économiques pour les entreprises européennes comme Thales Alenia Space, qui est responsable des modules de services d’Orion, la capsule habitée des astronautes, et d’une large partie de la Gateway, la station en orbite cislunaire. Et l’intérêt économique réside aussi en ce que l’ESA ne porte pas seule le fardeau financier en le partageant avec la NASA.

Sur le plan scientifique, ça permet évidemment beaucoup de choses sur le papier : poser un pied européen sur la Lune, être de la partie dans l’exploration et l’occupation future de notre satellite, avoir un accès privilégié aux ressources du programme –technologiques et échantillons, par exemple– et à des modules d’expérimentation scientifique en gravité réduite ou nulle dans l’espace.

Et ça permet aussi d’asseoir une force technique et politique européenne : il y a la composante symbolique, bien sûr. Prendre part au retour des humains sur la Lune, c’est une présence forte dans le paysage international. Et puis ça permet d’afficher l’Europe comme un partenaire fiable et de qualité, avec Thales qui a livré à la NASA en temps et en heure les modules demandés, qui a respecté donc son contrat et avec la qualité qui fait le renom des vieilles entreprises du secteur de notre vieux continent, comme Thales et Airbus.

Et si Artemis échoue à voir le jour, comme certains le craignent outre-Atlantique avec les rebondissements hebdomadaires de l’administration Trump ?

Je ne vois pas de configuration économique, politique et scientifique où la Gateway continuerait d’exister sans les Américains. C’est un projet qui est d’une envergure similaire à l’ISS, et que l’Europe ne peut pas et n’a pas d’intérêt à mener seule. Après, les modules préparés pour la Gateway lunaire pourraient être recyclés en un substrat de station en orbite terrestre de nouvelle génération.

Pour ce qui est d’Orion, qui est au cœur du programme Artemis et dont l’ESA et ses partenaires européens sont finalement les principaux acteurs, une exploitation purement européenne pourrait être envisagée. C’est d’autant moins absurde que l’Europe retrouve un lanceur lourd en Ariane 6 qui pourrait à moyen-terme avoir une itération sécurisée pour un vol habité ; et l’ESA développe le programme Argonaut depuis janvier 2025.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.