La guerre des étoiles

Qui sont ArianeGroup et Maia Space ?

Qui sont ArianeGroup et Maia Space ?

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Nous nous retrouvons cette semaine pour en apprendre plus sur un nom qui revient souvent dans nos chroniques de La guerre des étoiles : qui est le fameux ArianeGroup, le fabricant de l’infâme Ariane 6 ?

ArianeGroup est la maison-mère d’Ariane Espace, qui est l’opérateur des grands noms des lanceurs du continent européen : Ariane, Vega et Soyouz. L’entreprise sous la dénomination de “Group” est récente, c’est le produit de la fusion dans les années 2010s des branches spatiales de Airbus Defense & Space et de Safran, célèbre dans le secteur aéronautique pour ses moteurs notamment.

Le projet Ariane 6, un lanceur lourd pour remplacer la très aimée et très efficace Ariane 5, a motivé et porté le projet de fusion, sauf qu’en 2015, quand la fusion est actée, ça fait déjà cinq ans que Space X avait commercialisé les lancements sur sa Falcon 9, qui est réutilisable. Et Ariane 6, outre son gros défaut d’être très en retard, n’est même pas réutilisable dès sa conception, ce qui est une erreur stratégique et commerciale épouvantable pour ArianeGroup et l’ESA.

Effectivement ça semble peu avisé de leur part d’avoir créé un projet sans incorporer une composante réutilisable, qui semble aujourd’hui incontournable. Comment ArianeGroup a-t-elle cherché à se rattraper ?

En 2022, ArianeGroup a créé une filiale privée, Maia Space. Donc on donnera pas des points en plus pour la réactivité, mais au moins un projet solide existe pour un lanceur réutilisable en Europe. Si je dis solide, c’est parce que Maia Space n’est pas le premier projet de fusée avec un étage réutilisable sur notre continent, mais par contre, il y a l’assurance du savoir-faire ArianeGroup derrière, et des commerciaux d’Ariane Espace pour remplir le carnet de commandes une fois le lanceur opérationnel. Donc Maia c’est l’investissement sûr pour l’ESA, le CNES, l’agence spatiale française, et le calcul était que l’adosser à ArianeGroup, une entreprise publique qui a pignon sur rue, était un gage de qualité. Sauf que les investissements privés n’ont absolument pas suivi, même si le développement est toujours en cours.

Vous nous parlez d’Europe, mais outre l’investissement de l’ESA dans ArianeGroup, quelle est la composante européenne des filiales d’Ariane ?

C’est vrai qu’Ariane, que ce soit Group, Espace ou MaiaSpace, sont des initiatives très françaises à leur origine. Mais ce sont des boîtes européennes, pour de vrai. Dans le cas d’ArianeGroup, ça tient pour beaucoup à la “nationalité” des deux entreprises qui ont fusionné une partie de leurs activités : Safran est française, Airbus c’est une société très connue et visible en France, mais qui est européenne, dont le siège légal est aux Pays-Bas, qui dans ses actionnaires n’a pas seulement l’Etat français mais aussi l’Etat allemand et espagnol, et qui a une histoire de coopération privilégiée avec le Royaume-Uni, c’est le fleuron industriel et aéronautique de l’entente cordiale !

Et bien sûr, les sites de fabrication des différentes composantes, disséminés en Europe, ça ajoute de cet ADN européen aux lanceurs d’Ariane.

Mais dans le cas d’Ariane Espace, on parle d’une entreprise française, non ?

Pour Ariane Espace, le fait que ce soit l’opérateur d’Avio, un fabricant italien, et de Soyouz jusqu’à récemment, qui est un lanceur russe, en fait l’opérateur phare européen, et ça lui a conféré pendant longtemps, faut pas l’oublier, la place de numéro 1 mondial du transport spatial. Ariane Espace est une société française, quand même, mais son rôle de facilitateur pour les lanceurs avec le Centre Spatial Guyanais, Kourou, lui a permis de vraiment asseoir sa renommée auprès des clients et des institutions. Si vous regardez un lancement de n’importe quel lanceur à Kourou, la différence entre qui travaille à l’ESA, au CNES et chez Ariane Espace est vraiment dur à déterminer, et c’est ça qui fait d’Ariane Espace un acteur incontournable aussi : la proximité sur le temps long de ses équipes avec celles des agences institutionnelles, même si les acteurs du new space sont ultra compétents, on en doute pas, c’est une facilité dans un processus qui est quand incroyablement technique et parfois chaotique.

Et que dire de la petite nouvelle, Maia Space ?

Maia Space c’est à la fois une bonne idée, une forme de sécurité que même si ça prend du temps, l’Europe aura un lanceur réutilisable, parce que l’adosser à ArianeGroup, c’est une forme de garantie que Maia ne mettra a priori pas la clé sous la porte.

Mais c’est aussi un calcul diplomatique compliqué, parce que le new space européen n’a pas attendu 2022 pour commencer à développer un lanceur réutilisable. Il y avait déjà des start-ups allemandes et françaises, dont on a parlé en décembre dans notre épisode leur étant consacré, qui développait des lanceurs légers réutilisables, et Maia vient se positionner sur le même segment, mais avec une confiance institutionnelle qui semble presque déloyale. Ç’a donné lieu à des négociations notamment avec l’Allemagne, dont l’agence spatiale finançait déjà des start-ups du même type, et ArianeGroup a en contrepartie du soutien au projet Maia déménagé la production de son moteur-phare, Vinci, en Allemagne. Donc ça n’a pas fait l’unanimité, et ça montre encore une fois que les intérêts nationaux pèsent dans la balance, même entre pays de l’UE.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.